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courtoises, que le cabinet aurait pu à toute rigueur se regarder comme n’ayant pas été attaqué. Les observations douces et polies d’un orateur qui pourrait être si formidable sont à peine des avertissemens. M. Thiers a laissé entendre à plusieurs reprises qu’il aurait pu être sévère : il n’a pas voulu l’être ; il a amnistié le cabinet : « Soyons amis, Cinna ! » C’est là le résumé.

Le beau discours de M. Thiers a trompé plus d’une attente et donné un démenti spirituel et de bon goût aux prédictions de la salle des conférences. On disait qu’il voulait prendre le ministère corps à corps et le terrasser sur place ; à peine s’est-il un instant occupé de lui pour lui dire : Tâchez de mieux vous conduire et vivez si vous le pouvez. On disait que, pour rendre son attaque plus directe et plus décisive, il parlerait de la politique générale, de l’état des partis, de la chambre, du ministère, en un mot de l’intérieur : M. Thiers n’a parlé que d’affaires étrangères, de l’Orient, et surtout de l’alliance anglaise.

Le paragraphe de l’Orient a été voté après quelques observations de M. Duchâtel et de M. Jouffroy, en réponse au discours de M. Thiers.

Il est juste de reconnaître que la position de M. le ministre de l’intérieur, faisant fonctions de ministre des affaires étrangères, n’était pas sans embarras. M. Thiers, simple député, sans responsabilité, sans pièces officielles dans son cabinet, pouvait tout dire, affirmer tout ce qui lui paraissait vrai, probable même. Le ministre, au contraire, devait être d’autant plus réservé qu’il connaissait mieux la vérité, l’état présent des négociations.

Nous croyons qu’il aurait pu faire une réponse péremptoire à une partie du moins du discours de M. Thiers. Nous croyons qu’il aurait pu dire : — L’alliance anglaise n’est point compromise ; les nouvelles démarches de la Russie n’ont pas eu de succès ; M. de Brunow a de nouveau échoué. Le cabinet anglais ne veut pas se séparer de nous ; il n’accédera à aucune proposition que d’accord avec son allié, la France. Nous ne sommes donc pas dépourvus de tout crédit et de toute influence à Londres. Nous avons su à la fois défendre les intérêts et la dignité de la France, et ne pas rompre une alliance également utile et honorable aux deux pays. — C’est là, nous le croyons, la réponse qu’on aurait pu faire, si un ministre pouvait ainsi plier son langage officiel à toutes les vicissitudes du moment, et parler des faits diplomatiques à la tribune, avant qu’ils soient entrés dans le domaine de l’histoire. Il paraît certain, en effet, que tout ce qu’on a dit ces derniers jours sur le succès de la mission de M. de Brunow n’avait heureusement rien de fondé.

En attendant, un autre fait important s’est manifesté dans la chambre, et il n’a certes pas échappé à la sagacité de M. Thiers. C’est que la chambre n’entend pas raillerie sur le compte du pacha d’Égypte. Elle désire sans doute, et elle a raison de le désirer, dans l’intérêt des deux pays et de la paix du monde, elle désire, dis-je, le maintien, le raffermissement de l’alliance anglaise. Mais elle n’entend nullement sacrifier l’Égypte à l’Angleterre.