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REVUE. — CHRONIQUE.

Les espérances qu’on pourrait lui faire concevoir de l’union intime de deux puissances aussi redoutables que l’Angleterre et la France, de la France représentée comme puissance essentiellement continentale, de l’Angleterre comme tenant le sceptre des mers, ces espérances ne la flattent que très médiocrement. Son instinct national lui dit que la question capitale aujourd’hui, c’est la question du commerce du monde, et en conséquence la question de l’Orient et de l’Égypte ; que la puissance qui ne ferait pas tous ses efforts, qui ne dépenserait pas son dernier écu pour être une puissance maritime de premier ordre, souscrirait à sa propre déchéance, qu’elle aurait beau obtenir une, deux provinces d’agrandissement territorial, elle ne serait plus qu’une puissance de second ordre le jour où elle permettrait à la Russie et à l’Angleterre d’exploiter à leur gré l’Orient, et de s’emparer seules de tout ce qu’il renferme d’avenir pour la grandeur et la prospérité de l’Europe. La puissance aujourd’hui est au bord du Nil et de l’Euphrate. La France ne prétend pas s’en faire un privilége ; mais elle ne doit y reconnaître privilége et droit exclusif pour personne.

Les affaires d’Espagne n’ont donné lieu qu’à un incident de quelque importance. M. le procureur-général Chégaray a interpelé le cabinet sur la persistance que les Anglais mettent à occuper le port du Passage. La réponse a été faible. Dire que les Anglais évacueront le Passage quand les circonstances le permettront, c’est ne rien dire. Ajoutons que la présence dans le port d’une frégate française ne change rien à l’état de la question. Toujours est-il qu’il y a garnison anglaise au Passage, que l’Angleterre est de fait maîtresse de ce point ; qu’un port espagnol, à six lieues de notre frontière, est au pouvoir de ceux qui ont su se maintenir à Gibraltar, garder Malte, s’emparer des sept îles, et qui, tout récemment encore, ont montré, par leurs expéditions et leurs tentatives dans l’Orient, que l’extension et la sûreté de leur immense commerce, et la domination des mers, qui leur semble en être la garantie, sont le but qu’ils ne perdent jamais de vue, et auquel ils subordonnent toute autre considération et tout autre intérêt.

La question d’Afrique jouera probablement un grand rôle dans les discussions de la chambre. À la vérité il nous paraîtrait utile, raisonnable, d’ajourner cette importante question au moment où le gouvernement fera une demande spéciale de crédits pour l’Algérie. Il est peut-être imprudent d’intervenir dans la guerre d’Afrique par un débat prématuré, et qui se ressentira du vague et du décousu qui règne nécessairement dans la discussion de l’adresse. Ces considérations, nous le savons, n’influeront guère sur les luttes de la tribune. Les discours qu’on a préparés, les discours que les commettans attendent, nul ne veut les ajourner, nul du moins de ceux qui doivent les prononcer, et dont le Moniteur attend les feuillets. Cependant, dans l’état actuel de la question, il n’y a évidemment qu’une chose à dire, comme il n’est qu’une seule chose à faire : il faut donner, sans délai et sans lésinerie, au gouvernement,