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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

cile. Je ne voudrais d’autre preuve de notre amour sincère pour la poésie que cette haute renommée ou cette popularité rapide que s’est acquise de nos jours un nombre passable de poètes, seulement en France. Le public n’a-t-il pas adopté, en définitive, et avec des sympathies plus ou moins faciles ou choisies, le barde des Messéniennes et celui du Vieux Drapeau, le poète des Harmonies et celui des Orientales, le chantre d’Éloa, l’auteur des Consolations et celui de la Curée, et cette charmante muse des Contes d’Espagne et d’Italie ? Je ne parle pas de quelques autres moins haut placés qui ont eu aussi leur succès sans trop attendre. Il a suffi d’une veine poétique un peu prononcée pour aussitôt être mis en jour. Plus d’une jeune femme, avec quelque grace dans le sentiment ou quelque mélodie dans la voix, a bien vite cueilli son laurier et tressé sa couronne, au-dessous de Mme Valmore. Nous ne sommes donc pas si indifférens qu’on veut bien le dire à la Muse. Seulement notre fibre souvent excitée est devenue quelque peu rebelle à l’émotion ; car, chose singulière, au moment où l’on accuse le plus la société d’insensibilité et de prosaïsme, on lui adresse sans fin et sans cesse les produits d’une inspiration dont on lui refuse l’intelligence. Parmi tous ces témoignages si nombreux et si divers de l’activité poétique, on conçoit que le public tienne à choisir ; or, pour cela, un peu de temps et de réflexion est nécessaire. Malheur à celui qui ne peut attendre jusqu’à ce que sa voix sonore ait enfin percé tout le bruit confus qui se fait autour d’elle !

Ce ne sera pas un des moindres caractères de notre temps que cette fièvre d’impatience qui nous consume et se déclare en toutes choses. Chacun veut escompter au plus vite son mérite et sa gloire ; on n’attend pas même au lendemain. Le présent est tout, l’avenir rien ou très peu. La réalité actuelle a déshérité l’espérance pourtant si douce au cœur de l’homme. Le grain est à peine semé qu’on veut recueillir la moisson. Le labeur de la journée n’est pas encore fini qu’on attend le salaire. Particulièrement les poètes paraissent doués de ce funeste aiguillon qui les pousse sans cesse et trop souvent les égare. L’impatience, mêlée d’orgueil, produit bientôt le découragement et l’amertume. Alors, comme les résultats n’ont pas répondu aux pressentimens de l’ambition, comme la gloire, fruit amer et tardif, n’a pas donné la saveur espérée pour avoir été goûtée trop vite, on maudit la société et l’on meurt. C’est là l’histoire d’une foule d’esprits avortés, depuis Chatterton jusqu’à Escousse, qui ont manqué leur destinée pour la vouloir hâter trop, et qui, modernes