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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/334

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REVUE DES DEUX MONDES.

postérité. Il y a dans le Myosotis, dont bien des pages resteront, des morceaux d’une énergie admirable, et d’autres d’une grace exquise où l’expression concise encadre toujours heureusement la pensée, où la philosophie s’unit parfois à l’imagination, la raison à la couleur. Bien que l’ensemble n’ait pas précisément ce cachet d’unité et d’originalité décisive qui distingue les poètes souverainement consacrés, il révèle pourtant trop de véritable inspiration et de franche mélodie pour ne pas frapper vivement. — Le caractère général du talent de Moreau rappelle Béranger, dont il semble avoir voulu s’inspirer plus particulièrement. Cette préoccupation de Béranger est surtout sensible dans deux pièces placées sous l’invocation de son nom, et dont l’une, rapportée à l’année 1828, nous met, par sa date déjà ancienne, sur la trace première de l’imitation. Du reste, Moreau ne se borne pas à prendre le génie et la muse du chansonnier lyrique pour motifs de ses compositions ; il en reproduit encore en disciple fidèle les qualités importantes. Un grand nombre des pièces du Myosotis ne sont pas autre chose que des odes ou des chansons à la façon de notre poète national, aussi bien par le fond des idées et la nature des sujets que par la forme qui est pure, nette, incisive, avec presque autant de finesse et la même sobriété. Seulement, chez Moreau, la coupe brisée du vers paraît se rapprocher davantage de l’école poétique toute récente, et donne à ses strophes une allure plus dégagée sans nuire à l’harmonie. — Comme Béranger, Moreau professe un libéralisme agressif, frondeur des rois et en général de toute aristocratie ; comme lui, il aime le peuple, se montre admirateur passionné de la liberté républicaine et de la gloire impériale ; il a aussi ses momens d’indévotion et ses couplets contre le ciel ; enfin il chante l’amour, le vin, la gaieté, tout cet accessoire obligé de la philosophie épicurienne vantée par son modèle.

Bientôt, il est vrai, le poète prend un autre ton, il chante sur un mode entièrement opposé ; il ajoute à sa lyre anacréontique la corde de l’imprécation et du désespoir ; tout à côté des pages les plus fraîches et les plus joyeuses se trouvent des morceaux empreints d’une misanthropie sombre. Le gai chantre de tout à l’heure accuse, maudit maintenant ; il aiguise l’ironie, il lance l’anathème. Ce n’est plus le spirituel refrain de Béranger, mais bien l’ardente satire du dix-huitième siècle ou la sanglante Némésis moderne qu’on croit entendre. Il est aisé de voir que les douleurs et les amertumes parisiennes ont passé par là ; on reconnaît qu’une bise meurtrière a soufflé à travers les jardins fleuris du poète et les a desséchés. Son patrio-