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REVUE DES DEUX MONDES.

Phalène qui tournoie à l’éclair d’une épée,
Irai-je dans le sang picorer l’épopée,
Cueillir la blanche idylle en fleur dans le hameau,
Ou du saule pleureur effeuiller un rameau ?
Je doute encore ; mais cette moisson de gloire,
Vous l’aurez fait éclore, et j’ai longue mémoire,
Et, de mon frais butin parfumant vos genoux,
Prenez, dirai-je alors : tout cela, c’est à vous !…

On n’aime pas moins à retrouver dans Hégésippe Moreau une généreuse indignation contre les honteux hommages qui entourèrent, il y a quelques années, la muse infame de Lacenaire. Il venge noblement les poètes de toute parenté avec cet assassin bel-esprit, dont les vers n’étaient qu’une forfanterie de plus très méprisable, et il montre fort bien que la vraie poésie est inséparable de la probité :

Le poète, amoureux du bien comme du beau,
Attend deux avenirs par-delà le tombeau,
Et, riche en vieillissant de candeur enfantine,
N’a rien à démêler avec la guillotine ;
Le poète ne voit qu’un seul bourreau de près,
Le malheur ; ou, frappé par d’iniques arrêts,
S’il meurt, c’est en martyr, et le ciel est en fête,
Et personne ici bas ne dit : Justice est faite.
Interrogez Samson : depuis qu’André Chénier
D’un sang si précieux parfuma son panier,
Jamais son doigt savant (Thémis en soit bénie !)
Sur un front condamné ne palpa le génie.
C’est un roi qu’un poète, et la hache des lois
Tua Chénier du temps que l’on tuait les rois.

Dans la pièce qui a pour titre Un quart d’heure de dévotion, Moreau exprime comment le désir de prier, le regret de ne pas croire s’emparèrent de son cœur, un soir, au milieu de la solennité recueillie d’une église. Mais peu d’instans après, comme il le dit, il retomba dans le monde incrédule et rieur. Cette brusque transition se reproduit à chaque pas dans son volume. Une fois l’élégie épanchée, le poète, faisant trêve à sa douleur, rentre dans sa nature première, et l’œil encore humide de pleurs, il se reprend à l’idylle souriante, voire même il entonne la chanson à boire.

Nous croyons qu’il est résulté de tout ce qui a été dit jusqu’à ce jour sur Hégésippe Moreau une impression générale assez fausse. Ceux qui n’ont point lu le Myosotis sont tentés de croire très certainement que