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pour rester désintéressé. Ce n’était donc plus un protecteur, c’était un maître qu’ils allaient se donner. Robert Guiscard saisit en effet avec empressement une occasion si favorable de se rendre maître de Salerne. Il investit cette ville du côté de la terre, se rendit avec ses soldats à Amalfi, où les partisans de Gisulfe avaient excité quelques désordres, les chassa, y éleva quatre châteaux dans lesquels il mit garnison, accepta le patronage de la ville que lui offraient les citoyens, garantit pour cette fois encore leur indépendance et leur ancienne constitution, et, traînant après lui leurs milices et leur flotte, il vint achever du côté de la mer le blocus de Salerne.

Maître de cette ville, dont le siége dura huit mois, Robert en chassa Gisulfe, qui se retira au couvent du mont Cassin. Gisulfe fut le dernier des princes de la dernière dynastie lombarde d’Italie. Cette dynastie avait gouverné pendant cinq siècles les provinces de Bénévent et de Salerne ; elle périt par sa faute, ayant la première appelé les Normands dans ses états, et entraîna dans sa ruine les républiques voisines de Naples, de Gaëte et d’Amalfi. Les citoyens de cette dernière ville avaient aidé à la conquête de Salerne, ils en furent bientôt punis. Ces Normands, dont ils avaient invoqué le patronage et le secours, ne tardèrent pas à tourner contre eux leurs armes victorieuses, et toute la fin du XIe siècle et le commencement du XIIe nous offrent le spectacle d’une lutte longue et inégale entre la petite république et les successeurs ambitieux de Robert Guiscard. Soumis un jour, le lendemain les citoyens d’Amalfi courent aux armes, réclamant sinon leur entière liberté, du moins le maintien de leurs priviléges et de leurs franchises. Une fois même, en 1096, ils parviennent à chasser les Normands des quatre châteaux que Robert Guiscard avait construits ; ils élisent doge Marino Pensabaste, qui dans une première rébellion s’était bravement mis à leur tête, proclament leur indépendance, et luttent cette fois contre l’oppression avec un véritable et trop tardif héroïsme.

Roger, indigné de la révolte des Amalfitains, avait armé contre eux son frère Bohémond et son oncle Roger de Sicile. Les trois princes, à la tête des milices de Sicile, des Calabres et de la Pouille, et secondés par une flotte imposante et vingt mille Sarrasins, assiégèrent la ville par terre et par mer. La flotte bloquait le port, leurs troupes couvraient les monts du voisinage, et en fermaient toutes les issues[1]. Les Amalfitains ne se découragèrent cependant pas, et repoussèrent avec succès les attaques des princes confédérés. Néanmoins, privés de tout recours et bloqués étroitement, peut-être eussent-ils fini par succomber, si la nouvelle de la première croisade, prêchée par Urbain II, ne fût venue rompre l’accord qui existait entre les assiégeans. Bohémond, apprenant qu’une armée française traversait Rome pour se rendre dans la Terre-Sainte, fut saisi d’une subite inspiration ; il mit en pièces deux chlamydes de pourpre et les fit découper en croix ; attachant, ensuite, l’une de ces croix sur son épaule, il distribua les autres à plus de cinq cents chevaliers, ses compagnons. Tancrède, son cou-

  1. Malaterra, Hist., lib. IV.