Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/420

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
416
REVUE DES DEUX MONDES.

assez nombreux : on estimait tel ministre insuffisant, tel autre malhabile ; mais tous ces griefs ne se groupaient point autour d’une pensée commune, et quelque impolitiques que pussent paraître les dispositions relatives au conseil d’état, quelque imprudentes que fussent les tentatives concernant les offices, tout cela ne suffisait pas pour organiser une opposition systématique. Peut-être direz-vous qu’il n’en a pas fallu davantage pour renverser le 15 avril. Je vous concéderai, si vous voulez, qu’il en a fallu moins ; mais qu’importe ? les temps sont changés ; une grande expérience a été faite, et la France n’entend pas la recommencer. Il peut être fâcheux de voir les fruits de cette expérience recueillis par quelques personnages politiques qui, en morale sévère, n’en devraient pas avoir le droit ; mais les faits se présentent ainsi, et l’ancienne majorité se résigne à garder un ministère sorti d’une coalition plutôt que d’en essayer une autre pour le renverser.

Tel a été le sentiment dominant dans son sein le jour où elle a tenu le sort du cabinet entre ses mains, et où elle a pu mesurer toute la responsabilité qu’elle eût attirée sur elle en brisant un ministère qu’aucune combinaison sérieuse n’était en mesure de remplacer. Il n’est, en effet, douteux pour personne que si une combinaison vraiment grave avait préexisté à la discussion de l’adresse, ce débat n’eût présenté une issue très différente. La chambre ne s’est pas fait illusion sur la portée des bruits répandus à cet égard ; elle n’a pas cru à des dispositions qu’on disait sincères, et qui l’étaient peut-être ; elle a persisté à reconnaître des incompatibilités d’humeur ou d’ambition, à douter de sacrifices qu’elle serait heureuse de voir consommer, mais que son instinct, plus sûr que toutes les affirmations des couloirs, lui fait envisager comme improbables, sinon comme impossibles. Cette universelle incréance à des rapprochemens dont le moment n’est point arrivé, s’il doit jamais venir, est peut-être ce qui a le plus contribué à les faire échouer, car, pour que de telles négociations réussissent, il faut qu’elles soient énergiquement soutenues par l’opinion. Or, en ce moment, l’opinion ne soutient rien, parce qu’elle n’a foi en rien ; elle accepte tout sans amour comme sans haine.

Que si nous entrons, monsieur, dans un examen plus étendu des dispositions de chacune des fractions de l’assemblée, il nous sera facile de montrer que le ministère pouvait presque partout compter sur une sorte de neutralité.

La gauche subit, sans trop de résistance, un cabinet qu’elle n’o-