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santes, des situations dramatiquement conçues. Sans nul doute, à quelques endroits, on oublie dans quel style tout cela est écrit, et le récit vous prenant de force, pénétrant comme dans votre chair et dans votre sang, vous attache brutalement à ce char qui court à toutes brides dans l’arène. Mais, dès qu’on a le moindre sentiment littéraire, l’illusion se dissipe vite, car la curiosité seule était en jeu.

Dans tous les livres de M. Soulié se retrouve l’empreinte d’une imagination féconde. Certes, l’auteur n’est pas avare de descriptions, de personnages, de situations ; au besoin, il amplifie les évènemens, les descriptions se dilatent et s’étendent, les situations se compliquent à l’infini ; puis le romancier mène à sa guise les personnages, les pousse au hasard de la passion, les tuant quand ils le gênent, les mettant dehors sans reparler d’eux quand ils deviennent une entrave. Les caractères ne lui coûtent pas davantage, il les prodigue ; mais les traits sont partout appuyés, et le crayon pousse incessamment au noir. C’est que la main se fatigue à la longue dans cette continuelle mise en œuvre, dans cette fécondité sans arrêt que rien ne contrôle, qui se produit la même sous toutes les formes, qui donne aujourd’hui en feuilletons ce qu’elle doit donner demain en romans, en romans ce qu’elle doit traduire demain en drames. C’est l’histoire du repas des langues d’Ésope ; seulement le public pourrait bien n’être pas toujours d’aussi bonne humeur que Xantus. Hélas ! les feuilletons passent, les drames attirent un instant la foule curieuse pour disparaître bientôt de l’affiche ; et, quand les feuilletons du journal sont devenus des volumes, ce sont souvent des histoires aussi vieilles et aussi ennuyeuses que les vieilles nouvelles, que les vieux articles politiques du journal. Il y a un autre malheur ; les volumes s’accumulent et demeurent comme les témoins accusateurs du passé. Alors arrive le jour où chacun se demande ce qu’est devenu l’art en définitive dans de pareilles conceptions, et si cette hâte besogneuse, si cet entassement multiple des mêmes choses sous tant de formes, sont exclusivement intellectuels ; si, enfin, c’est bien là de la littérature ? — On prétend en bonne économie politique que la création des machines n’est pas à regretter ; mais les lettres ne ressemblent pas à l’industrie, et là il faut, avant tout, admirer l’ouvrier patient, consciencieux, qui se consacre à son œuvre et ne remplace pas la perfection par le nombre. Le génie lui-même ne suffirait pas à une semblable prodigalité d’improvisation. Décidément, au train dont y vont nos contemporains, Lope de Vega ne sera bientôt plus une exception. Il est vrai que les maréchaux de France littéraires ne peuvent se contenter, comme les humbles, de quelques sentinelles sûres, et qu’il leur faut tout au moins un gros corps d’armée. Peu importe donc le choix des recrues. Cela fait bonne figure dans la plaine.

La Confession générale de M. Soulié n’a encore que deux volumes ; elle peut en avoir cent, et je ne vois aucune raison pour que cela finisse, si les acteurs futurs sont tous aussi verbeux qu’un certain M. Valvins, lequel, faisant son droit à Rennes, s’amusait (je ne comprends pas pourquoi) à écrire en dialogues entremêlés de descriptions et de jugemens philosophiques, la vie, les