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tribune que M. le maréchal Soult avait donné des conseils à Espartero. Nous ne pouvons pas croire à l’exactitude de la nouvelle. Les conseils ont été donnés ; M. Dufaure l’a dit, nous n’en doutons pas. Dès-lors que faudrait-il penser du général Espartero, s’indignant d’avoir reçu quelques conseils d’un des premiers lieutenans de l’empereur ? Certes, nous ne sommes pas les flatteurs de M. le ministre des affaires étrangères ; mais qui aurait pu donner, avec plus d’autorité et plus de droit que le maréchal Soult, des conseils au général de notre allié, se trouvant en face de l’ennemi, devant se battre ou négocier avec lui ? Le roi de Prusse avait la manie de faire des vers : ils étaient, certes, fort médiocres ; mais ils n’ôtaient rien à la gloire et à l’autorité du grand capitaine.

La chambre ne tardera pas à s’occuper des affaires d’Afrique. Dans les bureaux, toutes les vieilles opinions se sont reproduites avec la même énergie et la même ténacité. Sans doute, personne ne veut refuser au gouvernement les moyens de réprimer sévèrement l’agression d’Abd-el-Kader. Mais cela une fois accordé, quel est le parti définitif qu’il convient de prendre sur l’Algérie ? À cette occasion, il est impossible de ne pas faire remarquer un expédient singulier qu’on dit avoir été pris par M. le ministre de la guerre. Ministre depuis neuf mois, ayant joui des loisirs de l’intervalle des deux sessions, ayant auprès de lui une direction des affaires d’Afrique, on pouvait, on devait croire que M. le ministre savait à quoi s’en tenir sur l’Algérie et sur le système à suivre pour l’avenir de cette grande colonie. On devait croire qu’à l’ouverture de la session il était en état de prendre sur la question une initiative forte, raisonnée, propre à rallier la majorité dans la chambre. C’est ainsi qu’on gouverne, c’est ainsi que le gouvernement est chose sérieuse.

M. le ministre de la guerre en a jugé autrement. C’est après la réunion du parlement, c’est lorsque la question est déjà abordée dans les bureaux, qu’il se serait rappelé tout à coup que lui aussi devait avoir un avis sur la colonisation. Alors il n’a pas hésité à employer le remède héroïque : il a nommé une commission composée de députés qui devront, Dieu aidant, dire ce qu’on peut faire de cette pauvre Algérie, le dire à M. le ministre, qui le dira à la chambre. Certes, c’est là un circuit assez inutile ; ces messieurs auraient tout aussi bien donné leur avis directement à leurs collègues. Ainsi, pour dire à la chambre des députés ce qu’il faut faire, M. Schneider attend qu’elle soit convoquée, et qu’elle s’occupe déjà de la question, et alors il prie la chambre de lui fournir quelques-uns de ses membres pour qu’ils lui apprennent, à lui ministre du roi, l’opinion qu’il doit porter à la tribune. Mais, nous en convenons, la faute n’est pas à M. le ministre, elle est à ceux qui ont imaginé de placer une des plus hautes et difficiles questions de législation, d’administration, d’économie et de politique, dans le portefeuille d’un ministre de la guerre.


V. de Mars.