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POÉTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

despotisme, et des recherches sur les templiers ou les états de Blois mirent à l’avance Raynouard sur la route de l’érudition. Quant à M. Lemercier, de plus en plus mis à part, il résista ouvertement ; et tandis que les écrivains de l’empire versifiaient leurs fades tragédies, leurs poèmes didactiques et descriptifs, il épuisa toutes les tentatives, il jeta en tout sens un talent qui n’avait pas sa vraie sphère dans un gouvernement militaire et absolu.

Il n’est donc pas sans intérêt d’étudier à loisir une destinée littéraire qui a eu son éclat, et à laquelle notre génération oublieuse ne donne pas assez sa part d’influence dans le passé. M. de Châteaubriand soutint aussi sous l’empire une lutte puissante, mais cette lutte devait finir par un éclatant triomphe. Au sortir de la révolution et de la philosophie du XVIIIe siècle, c’est-à-dire de la république et de l’athéisme, le génie de René venait proclamer la supériorité des idées religieuses et monarchiques, et substituer à la poésie de Voltaire toutes les pompes du christianisme, toutes les merveilles du moyen-âge et du Nouveau-Monde. Par-là M. de Châteaubriand répondait à la réaction des idées, au vif retour de beaucoup d’esprits d’alors vers le catholicisme et la royauté. Avec la restauration, la littérature nouvelle data des Martyrs et de l’Itinéraire à Jérusalem. Mais sous l’empire, à côté de Mme de Staël et de M. de Châteaubriand, déjà appuyés par tout un parti, il est juste et il convient de faire sa place à M. Lemercier, à ce génie solitaire et incomplet qui appartenait à la fois au passé et à l’avenir, qui, admirateur de Voltaire et de son école dramatique, s’était efforcé néanmoins de remonter directement à Eschyle, comme André Chénier remontait à Homère ; esprit singulier et original qui admirait Dante bien avant nous, retrouvait la tragédie grecque dans Agamemnon, la comédie latine dans sa pièce de Plaute, créait un genre nouveau dans Pinto, mais par malheur n’avait pu se dégager suffisamment de la mauvaise manière de son temps, ni de ses propres entraves.

Au théâtre, l’école moderne date de M. Lemercier, et pourtant c’est le mouvement romantique de la restauration qui a surtout rejeté sa renommée dans l’ombre. L’attention était ailleurs ; mais, à l’heure qu’il est, au milieu de cette singulière confusion des écoles et des systèmes où chacun est isolé dans son talent ou dans son orgueil, la critique peut revenir sur le passé et remonter aux origines. Il y a des destinées qui ne s’expliquent que par le détail et dont les particularités font seules comprendre le singulier ensemble. Celle de M. Lemercier est du nombre. Placé sur la limite du XVIIIe siècle, de