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POÉTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

le général Clarke. Le futur empereur apparaissait déjà dans le conquérant républicain, et, au lieu des bravos d’autrefois, quelques royalistes du parterre détournèrent le sens d’un passage contre le gouvernement consulaire. M. Lemercier s’empressa de retirer lui-même sa tragédie. C’était un soin dont on ne devait pas long-temps lui laisser l’initiative.

La gloire du vainqueur de l’Italie avait séduit le jeune écrivain, et, avant l’expédition d’Égypte, il avait promis au général Bonaparte de l’accompagner. Ce lointain voyage, les hasards de la guerre, plaisaient à l’esprit aventureux de M. Lemercier, et mille projets littéraires se rattachèrent bientôt à ce départ ; mais son père, averti à temps et plein d’inquiétudes, prit sur lui d’écrire à Bonaparte pour le prier de lui laisser la dernière joie de sa vieillesse. Malgré l’insistance et le désappointement du poète, il fallut se résigner. C’est alors qu’il se rejeta avec ardeur sur les distractions que lui offrait la facile société du directoire ; c’est à cette date qu’il faut rapporter, dans la carrière littéraire de M. Lemercier, la dissipation la plus mondaine. Le trop charmant poème des Quatre Métamorphoses fut comme le séjour à Capoue de l’auteur d’Agamemnon ; il en sortit toujours entreprenant, mais moins assuré, avec un goût impatient de conquêtes qui devait le mener quelquefois encore à la victoire, plus souvent à des défaites rachetées par l’audace ou bientôt oubliées dans le nombre.

L’amitié de Beaumarchais n’excuse pas ce libre opuscule, elle l’explique. Les Quatre Métamorphoses sont une œuvre très habile et profondément païenne. Dans une conversation comme il devait y en avoir beaucoup sous le directoire, on vint un jour à parler de ces admirables camées, de ces bas-reliefs romains, de ces petits groupes grecs, que désavouerait la noble chasteté de l’art moderne, mais où le génie antique, par ses formes pures et achevées, a su trop souvent consacrer des rêves effrénés sous l’apparence de la volupté la plus suave. Le cabinet secret de Naples était déjà créé. Un interlocuteur affirma que la poésie serait rebutante si elle reproduisait de semblables images, et qu’il était impossible d’arriver, en termes convenables et sans être grossier, à un résultat pareil. M. Lemercier releva le défi. C’était le contraire, dans un même sujet, de la gageure d’Ausone et de l’empereur Valentinien, qui luttaient, en vers, à qui s’exprimerait le plus crûment : on sait le fameux Centon nuptial qui en est résulté.

Osons le dire pourtant, bien qu’avec regret : au point de vue de la langue et du style, les Quatre Métamorphoses sont sans nul doute la