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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/679

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SANTA-ROSA.

« Écrire des articles de journaux m’ennuie. Moi aussi je voudrais contribuer un peu à l’honneur de ce pauvre et malheureux pays, à qui j’ai sacrifié toutes les douceurs de l’existence. L’exemple glorieux de Manzoni doit enflammer tout Italien qui a un peu de cœur et de talent. Berchet se porte bien, et paraît assez heureux. Il m’a promis de faire un bon nombre de romances semblables aux dernières ; s’il tient sa parole, il aura créé un genre. »


18 octobre.

« Oui, mon ami, il me faut une certaine superstition dans ma vie intérieure et dans mes affections ; ce qui vient de m’arriver m’y confirme. Aujourd’hui 18 octobre, jour où j’accomplis quarante ans et où je demeure renfermé, invisible, dans mon petit ermitage, méditant à mes malheurs, à mon avenir, m’entourant de mes plus chers souvenirs, de mes plus douces amitiés ; aujourd’hui, dans ce moment même, on m’apporte ta lettre du 12 et ton Platon. Véritablement de race et de sang romain, j’en accepte l’augure, comme au temps de Camille et de Dentatus. J’ai pris la plume sur-le-champ pour te répondre dans ce premier moment de vie délicieuse. Ô quelle chose mystérieuse et divine que le cœur humain ! combien je déplore les doctrines du matérialisme ! J’y pensais quand ton Platon est arrivé. Nous croyons tous les deux au bien, à l’ordre. La philosophie n’est pas de savoir beaucoup, mais de se placer haut. Sous ce seul rapport, je crois être philosophe malgré mon ignorance sur tant de choses. Adieu, je te laisse. Aujourd’hui je m’appartiens tout entier, et il faut que je t’aime comme je fais pour t’avoir écrit. Adieu, encore. »


Ainsi s’écoula l’année 1823 ; celle de 1824 le trouva dans cet état, tantôt de découragement, tantôt d’exaltation que lui donnait tour à tour et l’énergie de son ame et la misère de sa position. Dans les premiers mois de 1824, ses lettres devinrent successivement plus rares, plus courtes et plus tristes ; il luttait contre une pauvreté toujours croissante, se reprochant de demander des secours à sa famille, qui était elle-même très gênée, et ne pouvant suffire à ses besoins par un travail de journaliste pour lequel il n’était pas fait. Sa situation devint telle qu’il fallut prendre un parti décisif. Il se détermina à quitter Londres et à se retirer à Nottingham, où, sous un autre nom que le sien, il gagna sa vie en donnant des leçons d’italien et de français. Adieu ses projets de grands ouvrages, ses rêves d’hon-