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neur et de bonheur ! L’infortuné, à quarante ans, voyait sa vie s’anéantir dans une occupation honorable sans doute, mais sans terme et sans but. Il se découragea jusqu’à douter de l’avenir et de lui-même. Pendant quelque temps il ne m’écrivit plus. Il me fallut savoir par d’autres ce qu’il était devenu. Mais bientôt je fus entraîné moi-même dans les aventures les plus inattendues et les plus bizarres. Dans une grande circonstance, Mme la duchesse de Montebello, ne pouvant accompagner son fils aîné en Allemagne, me pria de la remplacer. La noble veuve du maréchal Lannes ne pouvait s’adresser en vain à mon amitié, et, dans le mois de septembre, je partis avec M. de Montebello pour Carlsbad. On sait ce qui arriva. Arrêté à Dresde, livré par la Saxe à la Prusse, jeté en prison à Berlin, mon refus de répondre à toute question venant d’un gouvernement étranger, avant que le gouvernement français eût intervenu, prolongea ma captivité, et je n’étais de retour à Paris que dans les premiers jours de mai 1825. Voici les deux lettres que j’y trouvai :


Nottingham, 26 août 1824.

« Si je ne t’ai pas écrit jusqu’à ce moment-ci, tu sais pourquoi. Je n’osais pas paraître devant toi. Tu es pour moi une espèce de conscience ; peut-être, je tremble en te l’écrivant, mais il faut que je te dise toute la vérité, peut-être ne t’aurais-je plus écrit et aurais-je renoncé à l’amitié de l’homme que j’aime le plus sur la terre, et à qui je pense toutes les heures de ma vie, si je ne m’étais pas relevé du triste état où j’ai vécu depuis mon arrivée en Angleterre. Je ne m’en suis pas relevé par une résolution, mais bien par une action, par une action commencée et dont la suite ne dépend plus de moi. Mais quand cela n’aboutirait à rien, j’aurais le cœur déchargé d’un grand poids, et j’aurais retrouvé l’énergie morale que j’avais perdue. Aussitôt que je saurai le résultat de ma démarche, je te l’écrirai. — Tout me condamne, je le sais ; mais si je péris, ô mon ami, ce n’est pas de légères blessures. Mon cœur, avant l’époque de notre révolution, avait été cruellement déchiré ; j’ignore ce que je serais devenu si la fièvre italienne ne m’avait saisi. Je me rendrai cette justice à moi-même, que je n’ai pas connu un seul moment ni l’intérêt, ni la peur, ni aucune passion dégradante. Mais je restai au-dessous des circonstances. À mesure que les évènemens s’éloignent de moi, le souvenir de mes fautes se présente à mon imagination avec plus de vivacité. Je pense toujours en frémissant à cette malheureuse