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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/76

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REVUE DES DEUX MONDES.

mer, a ses tempêtes et ses écueils. À trois heures, nous étions à Souliné. Le Danube se jette dans la mer Noire par six embouchures, dont les trois principales sont celles de Kilia, de Souliné et de Saint-George au midi. Les Génois, dont la puissance avait pris en Orient une si étonnante extension, avaient fondé un comptoir à Kilia ; cette bouche est presque complètement envasée ; celle de Saint-George n’est accessible qu’aux bâtimens pêcheurs ; le seul bras de Souliné, qui depuis le traité d’Andrinople est une dépendance de l’empire russe, livre passage aux navires de trois cents tonneaux. Toutefois, comme le lit du Danube n’a plus, aux approches de la mer, qu’une pente assez faible, il est à craindre que des amas de sable et de limon ne viennent entraver encore cette unique voie laissée au commerce et à la navigation ; il est à redouter surtout que cette circonstance ne fournisse à la Russie l’occasion de porter avec quelque apparence de justice une atteinte à la liberté des mers et des fleuves, liberté reconnue par le congrès de Vienne. En effet, si la Russie entreprend seule les grands travaux de curage et d’entretien nécessités par des envasemens périodiques, ne pourra-t-elle point se croire fondée à prélever un droit sur les navires à l’entrée et à la sortie du bras de Souliné ? N’a-t-elle pas essayé déjà d’établir ce péage ? Bien plus, l’Autriche, la première intéressée à la franchise du Danube, n’a-t-elle point pendant quelque temps subi la loi tyrannique de sa rivale ? Le traité de 1829, en reconnaissant nommément aux pavillons russe et turc la liberté d’entrer et de sortir par les bouches de Kilia et de Souliné, lorsqu’il proclame aussi cette liberté pour les vaisseaux marchands de toutes nations dans les passages des Dardanelles et du Bosphore, semblerait vouloir consacrer, dans le premier cas, une mesure restrictive du droit commun. La Russie est trop habile pour afficher ses ambitieuses prétentions : elle a nié l’établissement légal du péage et désavoué les officiers qui en avaient exigé l’acquittement ; mais elle n’a point perdu l’espoir d’arriver à ses fins par des voies détournées, et il sera fort difficile à la diplomatie européenne d’empêcher le czar sinon d’accroître encore sa puissance aux dépens de la Turquie, du moins de ne pas profiter des grands avantages que lui a concédés le traité d’Andrinople. L’article 3 de cette convention est ainsi conçu : « Le Pruth continuera de former la limite des deux empires, depuis le point où cette rivière touche au territoire de la Moldavie, jusqu’à sa jonction avec le Danube. De ce point, la ligne frontière suivra le cours du Danube jusqu’à l’embouchure de Saint-George, de sorte que, laissant toutes les îles formées par les