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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/784

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REVUE DES DEUX MONDES.

Le Comte. — Je risquerais… de vous plaire.

Diane. — Vous en trouveriez-vous donc si mal ?

Le Comte. — Madame, cela ne dépend pas de moi. Si j’en venais là, il me faudrait mourir.

Diane, à part. — Se peut-il que je sois condamnée à entendre de telles choses ! (Haut.) D’où vient cette présomption de croire que je pourrais vous aimer ?

Le Comte. — Vous m’avez dit vous-même que de la reconnaissance à l’amour il n’y a pas loin ; on est donc bien près d’aimer ceux auxquels on avoue qu’on sait gré des sentimens qu’ils nous expriment.

Diane. — Il y a moins loin encore de votre fol orgueil à une grossièreté injurieuse, et je ne veux pas vous donner le temps de franchir cet espace. Laissez-moi.

Le Comte. — Voulez-vous donc manquer aux usages de cette fête ? N’en concevrait-on pas quelques soupçons ?

Diane. — Ce danger ne regarde que moi ; je dirai que je suis souffrante.


Le comte s’éloigne sans insister davantage. À peine est-il parti, que la princesse regrette de l’avoir renvoyé. Étonnée et humiliée de la facilité, de l’espèce d’empressement avec lequel il a accepté son congé, elle n’a plus qu’une pensée, celle de triompher de sa froideur. Pour dompter ce cœur indocile, elle n’épargnera rien. Le gracioso, qui feint de partager son indignation et d’entrer dans ses projets, est chargé par elle d’aller trouver le comte et de le conduire dans le jardin intérieur du palais, comme pour lui en faire admirer le dessin savant et les riches ornemens. Diane s’y trouve comme par hasard, se livrant avec les dames de sa suite au plaisir de la musique. Elle sait que le comte est sensible aux charmes d’une belle voix ; elle compte pour l’émouvoir sur les accens qu’elle va lui faire entendre, et peut-être aussi sur les attraits du déshabillé gracieux dans lequel il va la surprendre.

Tout se passe comme elle l’a ordonné. Le comte arrive avec le gracioso, qui n’a pas manqué de l’instruire des intentions de la princesse. Vingt fois, dans le trouble dont il est saisi, il est sur le point de s’élancer vers elle et de se jeter à ses pieds. C’est à grand’peine que le souvenir de la scène du bal, et surtout les avis, les prières, les menaces du gracioso, peuvent le détourner d’aller encore une fois s’offrir au mépris de l’altière Diane. Il affecte de ne pas s’apercevoir de sa présence et d’être entièrement absorbé par l’admiration que lui inspire la savante ordonnance des parterres et des bosquets. Diane se persuade qu’il ne l’a pas entendue ; elle recommence à chanter, elle essaie de donner à sa voix plus de force et d’expression. Le comte, vivement agité, réussit cependant à renfermer en lui-même l’émotion à laquelle il est en proie. Rien dans son extérieur, dans son attitude, ne la laisse soupçonner. Diane ne peut plus y tenir ; elle charge une de ses femmes d’aller comme d’elle-même avertir le comte de sa présence ; celui-ci, sans paraître y faire attention, s’entretient avec la messagère des agrémens du jardin, des défauts qu’il a cru y