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sane ; les Tartares donnent ce nom à la Perse entière, et dans la langue moghole il signifie le paysan. Quand a-t-il été imposé à cette partie de la population de l’Afghanistan ? c’est ce qui n’est pas facile à préciser. Ritter a prouvé, en s’appuyant sur les annales chinoises, que, par ce mot de Tadjik, on désigne dans toute l’Asie centrale un homme parlant le persan. Du temps de Timour, on appelait ainsi tous les habitans de l’Irân qui n’étaient ni Arabes ni Moghols. Ce nom était déjà alors un signe de mépris et correspondait au fellah des Turcs dans l’Égypte. Malcolm les regarde avec vraisemblance comme un restant de l’ancienne population autochtone, qui survécut à toutes les guerres, révolutions et secousses désastreuses de l’Irân. Les Tadjiks s’étendent par toute la Perse, tout le Béloutchistan, tout l’Afghanistan, jusqu’à la Boukharie. Ils parlent dans tous ces pays un des dialectes du vieux persan, mélangé de néo-persan, de poushtou et de tourkoman, et forment une classe de serviteurs, des glebœ adscripti, des colons vivant sous la domination tyrannique de leurs maîtres.

En jetant un coup d’œil sur toute l’Asie supérieure de l’ouest, depuis les monts Hindou-Koush jusqu’au Taurus, on aperçoit un contraste très constant et très prononcé entre les peuples nomades et les peuples agricoles. Les rapports de l’une de ces deux classes à l’autre ressemblent à ceux qui existent ordinairement entre les seigneurs et les serfs, entre la noblesse et le peuple. L’origine de cette division remonte, si l’on peut croire les témoignages de quelques officiers d’Alexandre-le-Grand, jusqu’au temps de l’expédition de ce conquérant en Asie. Les Afghans et les Tadjiks sont l’expression la plus frappante qui existe encore de cette division.

Les Tadjiks se trouvent aussi dans le Turkestan chinois ; ils y sont établis comme dans le Turkestan tartare, dans le pays d’Usbeks et dans toute la Perse. Leur sort diffère cependant dans chacun de ces pays. Dans le plateau d’Irân, où ils furent conquis par les khalifes avec le premier débordement de l’islamisme, ils restèrent serfs tant que dura la domination arabe ; mais dès que celle-ci s’écroula, ils se mêlèrent avec leurs dominateurs, et en prirent, jusqu’à un certain point, les mœurs, la langue et la civilisation. Tel fut le sort de la population primitive de la Boukharie. L’Afghanistan, au contraire, conserva son indépendance plus long-temps. Il résista aux Arabes pendant près de trois siècles, et ne fut influencé par le contact de cette race qu’en passant sous la domination de la Perse. C’est alors que naquit dans ce pays, du mélange de la population arabe et persane avec la