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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

faits !), devaient plaire au monarque gourmet par plus d’un endroit[1]. — Chose singulière ! l’École normale a donné deux poètes morts de bonne heure, qui ont comme ouvert et fermé la restauration, l’un la servant, l’autre la combattant, mais modérés tous deux, Loyson et Farcy.

Jean Polonius, à qui nous passons maintenant, n’est pas un précurseur de Lamartine, il l’a suivi et peut servir très distinctement à représenter la quantité d’esprits distingués, d’ames nobles et sensibles qui le rappellent avec pureté dans leurs accens. Les premières Poésies de Jean Polonius parurent en 1827, les secondes en 1829[2]. Un poème intitulé Érostrate[3], comme celui de M. Auguste Barbier, avec lequel il n’a d’ailleurs que peu de rapports, vient d’apprendre au public le vrai nom de l’auteur jusqu’ici pseudonyme. Polonius n’est autre que M. X. Labinsky, long-temps attaché à la légation russe à Londres et aujourd’hui à la chancellerie de Saint-Pétersbourg. Ses premières poésies attirèrent l’attention dans le moment ; un peu antérieures, par la date de leur publication, à l’éclat de la seconde école romantique de 1828, on les trouva pures, sensibles, élégantes ; on ne les jugea pas d’abord trop pâles de style et de couleur. C’est l’amour qui inspire et remplit ces premiers chants de Polonius ; ils rentrent presque tous dans l’élégie. Plus de Parny, plus même de Millevoye : les deux ou trois petites et adorables élégies de Lamartine : Oui, l’Anio murmure encore, etc., etc. ; Lorsque seul avec toi pensive et recueillie, etc., etc. ; semblent ici donner le ton ; mais, si le poète profite des nouvelles cordes toutes trouvées de cette lyre, il n’y fait entendre, on le sent, que les propres et vraies émotions de son cœur. Ce gracieux recueil se peut relire quand on aime la douce poésie et qu’on est en veine tendre ; mais je cherche vainement à en rien détacher ici pour le faire saillir. Les étrangers qui écrivent dans notre langue, même quand ils y réussissent le mieux, sont dans une position difficile ; le comble de leur gloire, par rapport au style, est de faire oublier qu’ils sont étrangers ; avec M. Labinsky on l’oublie complètement ; mais, en parlant si bien la langue d’alentour, ont-ils la leur propre, comme il sied aux poètes et à tous écrivains originaux ? Jean Polonius chante, comme un naturel, dans la dernière langue

  1. Ainsi certain quatrain à M. le duc d’Escars, premier maître d’hôtel du Roi, qui avait envoyé du vin de Bordeaux à l’auteur. Je suis sûr que ce quatrain-là fut servi au déjeûner du roi.
  2. Sous ce titre : Empédocle, vision poétique, suivie d’autres poésies.
  3. Chez Charles Gosselin, 1840.