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juste dans le rayon ? Quel est l’à-propos d’un tel poème ? Soit dans le fond, soit pour la forme, en quoi peut-il nous flatter, nous séduire, nous irriter si l’on veut, nous toucher enfin pour le moment, sauf à réunir ensuite les conditions immortelles ? Dire qu’un tel poème, lu attentivement, mérite toute estime, c’est déjà être assez sévère. M. Labinsky restera donc pour nous Jean Polonius, l’auteur des élégies, élégies douces, senties, passagères, qui, avec quelques-unes d’Ulric Guttinguer, ont droit d’être comptées dans le cortège d’Elvire.

Le style, le style, ne l’oublions pas, c’est ce qu’il faut même dans l’élégie, sans quoi elle passe aussi vite que l’objet qu’elle a chanté. Boileau, occupé de ce qui lui manquait surtout, a dit qu’en ce genre

C’est peu d’être poète, il faut être amoureux.

Sans doute ; mais c’est peu aussi d’être amoureux en élégie, si l’on n’est poète par les images et par de certains traits qui fixent la beauté pour tous les temps. Il en est de la poésie amoureuse comme de Vénus quand elle se montre aux yeux d’Énée, naufragé près de Carthage et à la veille de voir Didon : elle prend les traits d’une mortelle, d’une simple chasseresse ; elle ressemble à une jeune fille de Sparte, et s’exprime sans art d’abord, avec un naturel parfait. C’est bien ; mais à un certain moment, le naturel trop simple s’oublie, un tour de tête imprévu a dénoué la chevelure, l’ambroisie se révèle,

Ambrosiæ que comæ divinum vertice odorem
Spiravere ; pedes vestis defluxit ad imos,
Et vera incessu patuit Dea
.......

Je veux voir, même au milieu des langueurs élégiaques, ce pedes vestis defluxit ad imos, cette beauté soudaine du vers qui s’enlève, et ces larges plis déroulés.

Aimé De Loy a eu également plus de sensibilité que de style ; il est de cette première génération de poètes modernes, qui n’a pas dépassé la première manière de Lamartine, et, sa plus grande gloire, il l’a certainement atteinte le jour où une pièce de vers, signée de ses initiales A. D. L., put être attribuée par quelques-uns à l’illustre poète. Aimé De Loy, né en 1798, est mort en 1834. Sa vie, la plus errante et la plus diverse qu’on puisse imaginer, n’apparaît que par lambeaux déchirés dans ses vers que de pieux amis viennent enfin