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elle le veut avec plus ou moins de hardiesse ; elle croit peut-être que le pouvoir s’applique trop à le ralentir, à le modérer, qu’il ne fait pas aux saines théories politiques applicables à notre gouvernement un accueil assez cordial et assez franc. Il n’est pas moins vrai que cette partie de la gauche se compose de libéraux conservateurs, d’hommes sur lesquels l’ordre établi pourrait compter toutes les fois qu’il serait sérieusement question de son maintien et de son raffermissement.

Le parti Barrot n’a fait qu’accepter aujourd’hui l’alliance que les membres de la gauche indépendante accepteront plus tard, à mesure que les faits et l’expérience viendront leur montrer que dans la pratique des affaires, dans les principes et les actes du gouvernement, il n’y a rien d’incompatible avec leurs propres principes, rien qu’un ami sincère de la liberté constitutionnelle, de la monarchie représentative, ne puisse hautement avouer.

M. Barrot doit se féliciter d’avoir donné l’exemple, d’avoir mis fin à un schisme qui n’était plus qu’un malentendu. Il ne s’agit plus aujourd’hui de résister à outrance à des factions armées et menaçantes, de pousser les moyens d’ordre et de défense jusqu’à cette dernière ligne qui, bien que légitime, effarouche et alarme ces amis passionnés de la liberté, ces esprits spéculatifs auxquels les théories sont encore plus connues que les faits, la violence des passions et la pratique du gouvernement. Toute lutte violente, illégale, a cessé. Les opinions extrêmes sont rentrées dans le cercle de la légalité. Elles usent de la parole, de la presse, des pétitions, de la tribune, de tous les moyens que les lois autorisent ; elles prouvent par leur propre fait que la liberté n’est pas un vain mot chez nous. C’est leur droit. Nous serions les premiers à blâmer quiconque prétendrait le leur enlever ou le restreindre.

Mais pour tout homme étranger à ces opinions, les questions importantes aujourd’hui sont les questions d’organisation, de développement, de progrès dans toutes les branches de la puissance nationale. Il faut seconder l’impulsion qui nous pousse vers un avenir de plus en plus brillant et prospère, maintenir la France au premier rang en Europe par son influence et sa force, profiter de l’inépuisable richesse de son sol, animer son industrie, perfectionner toutes ses institutions, tous ses établissemens, tous ses moyens de développement matériel et moral, la doter de tous ceux qui lui manquent encore ; il faut, en un mot, gouverner habilement, fortement, dans l’intérêt général, ce vaste et beau pays, qui recèle dans son sein des ressources dont la grandeur et la variété surpassent tout ce qu’on pourrait lui comparer. Pourquoi le parti Barrot se serait-il refusé à coopérer à ce grand travail ? Pourquoi préférer à ce concours loyal, éclairé, une crise politique, une nouvelle péripétie ministérielle, une dissolution prématurée de la chambre, dissolution qui aurait pu devenir pour le pays une cause d’agitation, et retarder de plus en plus tout le bien que la France a le droit d’attendre de son gouvernement ?

C’étaient pourtant là les deux termes de la question, l’adhésion au ministère ou la dissolution de la chambre. M. Barrot a préféré le premier parti ; il a pré-