Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
9
L’IRLANDE SOCIALE, POLITIQUE ET RELIGIEUSE.

blanche ; mais, entre la race anglaise et la race irlandaise, la différence était trop petite pour que, réunies sur le même sol, elles n’arrivassent pas à se rapprocher et à se fondre. Ce qui les tint séparées, c’est que jusqu’à la fin du XVIe siècle la conquête ne dépassa point une limite très rapprochée de la mer. Ainsi, sous Henri VIII, 400 ans après la première invasion, le territoire de la colonie (le pale) se réduisait à un rayon de sept lieues. Henri VIII, au faite de la puissance, entreprit alors de soumettre le pays tout entier ; et soit qu’il réussît, soit qu’il échouât, il y avait pour l’Irlande dans cette entreprise les germes d’un meilleur avenir. Mais au moment où la distinction des races allait, sinon disparaître, du moins s’affaiblir, une autre distinction apparut bien plus durable, bien plus vivace, celle des religions. L’Angleterre venait de se faire protestante, et voulait que l’Irlande le fût comme elle. Henri VIII demandait donc à l’Irlande non-seulement de reconnaître la suprématie politique de l’Angleterre, mais de se soumettre à sa suprématie religieuse, non-seulement d’accepter ses lois, mais d’adopter ses croyances. C’était une tyrannie pire que toutes les autres, et à laquelle l’Irlande catholique eut l’honneur d’opposer une invincible résistance.

On sortirait des bornes d’un article, si l’on voulait suivre ici dans toutes ses phases la lutte terrible qui commença sous Henri VIII et finit sous Guillaume III, un siècle et demi plus tard. Pendant cette longue et sanglante période, tous les moyens, depuis la confiscation en masse des propriétés jusqu’à la déportation des habitans, furent employés à plusieurs reprises. À cet égard, Élisabeth et Jacques Ier, Charles Ier et Cromwell, Charles II et Guillaume III n’eurent qu’un esprit et qu’une politique. À la fin du XVIIe siècle, les catholiques d’Irlande, dépouillés de leurs biens et de leurs droits, persécutés, décimés, écrasés, étaient encore pourtant aux protestans dans la proportion de quatre à un. Il est vrai que sur onze millions d’acres de terre, ils n’en possédaient plus qu’un, et que ce million même était concentré dans cinq à six grandes familles anglaises. Ainsi la conquête était complète, et le sol tout entier avait cessé d’appartenir aux anciens habitans du pays.

Il faut remarquer que ce n’est plus à titre d’Irlandais qu’ils se trouvaient dépossédés, mais à titre de catholiques. S’il y avait deux lois pour les deux religions, il n’y en avait plus qu’une pour les deux races, et un Irlandais protestant eût compté parmi les vainqueurs, de même qu’un Anglais catholique parmi les vaincus. Comme malgré les persécutions et les tentations, les Irlandais étaient restés tous