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fidèles à leur culte, il n’en résultait pourtant dans leur situation aucun changement réel. Seulement le sentiment religieux venait fortifier le sentiment national, et un nouveau sujet de colère et de haine se joignait aux anciens.

On sait qu’à cette époque commença pour l’Irlande un nouveau genre d’oppression, l’oppression légale et systématique. Pendant la lutte, l’Angleterre avait agi contre l’Irlande catholique violemment, arbitrairement, selon les passions et les besoins du moment. La lutte finie, elle crut devoir régulariser la persécution ; de là sous Guillaume et sous la reine Anne, le code pénal, ce code qu’un siècle plus tard Burke flétrissait comme le plus puissant et le plus habile instrument d’oppression qui ait jamais été inventé par le génie pervers de l’homme. On ne défendit plus alors aux catholiques de rester fidèles à leur culte ; mais l’exercice de ce culte fut entouré de tant de restrictions et de piéges, qu’il devint à peu près impossible. Déchus d’ailleurs du droit d’élire et d’être élus, exclus de tous les emplois de l’armée, de la marine, de la magistrature et même du barreau, déclarés incapables d’acquérir des propriétés immobilières, et de faire de longs baux ; forcés, s’ils voulaient exercer le commerce ou l’industrie, de se soumettre aux taxes et aux vexations dont les accablaient des corporations exclusivement protestantes, ils furent frappés à la fois dans leur vie politique et dans leur vie civile. On ne respecta même pas leur vie domestique, et des lois intervinrent d’une part pour enlever au père catholique la tutelle de ses enfans, de l’autre pour le dépouiller de sa fortune au profit de celui de ses fils qui se ferait protestant.

Je ne puis ici qu’indiquer brièvement les dispositions principales du code pénal. Il en est pourtant de plus humiliantes encore, celle par exemple qui autorisait tout protestant à prendre au prix de 5 liv. st. tout cheval appartenant à un catholique, et celle qui interdisait aux catholiques d’avoir des armes, même pour leur défense personnelle. Au reste, j’en ai dit assez pour qu’on comprenne la situation des catholiques irlandais au commencement du XVIIIe siècle. Il faut ajouter que loin d’user modérément de leur supériorité légale, les protestans en abusaient scandaleusement, et ne se piquaient, lorsqu’il s’agissait des papistes, ni de justice ni d’humanité.

Mais si l’Irlande catholique souffrait, l’Irlande protestante était-elle du moins libre et heureuse ? Point du tout, et ici apparaît dans tout son jour le pacte honteux dont avec une grande sagacité M. de Beaumont a trouvé les germes dès les premiers jours de la conquête. En vertu de ce pacte, tacitement convenu, l’Irlande protestante accep-