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Agolanti. — Je compte y aller, moi ; par conséquent vous resterez ici sans peine, et vous y recevrez tout à votre aise les lettres d’Antonio !

Ginevra. — Je les ai renvoyées sans les ouvrir, monsieur.

Agolanti. — Combien ?

Ginevra. — Trois.

Agolanti. — Trois que vous n’avez pas ouvertes… vous êtes exacte ; et celles que vous avez lues ?… Vous vous obstinez à vous taire, et ce signe de tête, que veut-il dire ?

Ginevra. — Mon Dieu ! que puis-je dire ou ne pas dire ? Je serai toujours grondée. Vous ne devriez pas me traiter ainsi ! Quelque résignée que vous me supposiez, je n’en ai pas la force. J’ai été très malade récemment, et suis encore faible.

Agolanti. — Je vous ai vue plus faible, mais toujours prête à lutter et à me haïr.

Ginevra. — Je ne prétends pas être un ange, je ne suis qu’une femme.

Agolanti. — À la bonne heure, vous l’avouez. Vous voyez bien que ce ne sont pas des crimes que les paroles d’indignation arrachées par votre éternel dédain !

Ginevra. — J’ai pu avoir tort, je m’en repens ; mais ce n’est pas comparable à des années de douleur infligées sans remords et sans provocation.

Agolanti. – Oh ! sans provocation ! quelle douce voix ! quel ton angélique ! quel mensonge d’un être trop faible pour qu’on l’écrase, trop insensible pour qu’on l’irrite ! Vous ne m’avez jamais aimé, madame ; jamais, pas même devant l’autel, lorsque avec une bassesse froide, une résignation lâche, le mensonge sur les lèvres, vous m’avez pris pour mari, espérant avoir l’indépendance, une maison, la fortune, et pleine de dédain pour celui qui les donnait.

Ginevra. — Je ne vous ai point méprisé. Je ne savais ce que c’était que le dédain ; j’étais une enfant toute confiante et tout ingénue. Oh ! si vous pouviez !… Mais pourquoi vous redire ce que je dis tous les jours en vain ?… (Elle se lève et marche dans la chambre.) Vous faites monter à mon cerveau le sang avec colère ! Vous exigez trop de moi. Qu’ai-je fait, mon Dieu ! pour être ainsi à la merci d’un despotisme qui demande à sa victime toutes les vertus et n’en apporte pas une ?

Agolanti. — Je vous remercie, madame, très humblement. Vous êtes franche à la fin.

Ginevra. — Pardon, pardon ! la colère est excessive, et ne sait ce qu’elle dit.

Agolanti. — Ah ! madame, vous ne répondez jamais, vous êtes douce, patiente ?

Ginevra. — Continuez, vous avez raison. Moi qui disais tant de mal de la colère, je me suis mise en colère. Vous pourriez me pardonner au surplus, et avoir pitié de moi, puisque votre faute a été la mienne.

Agolanti. — Quelle condescendance ! quelle douce ironie !

Ginevra. — Non, sur mon ame, j’ai parlé du fond du cœur d’une faiblesse qui nous est commune. Soyez charitable envers moi, je serai reconnaissante…


Antonio, assez imprudemment, s’avise d’appeler en duel le mari, et lui demande compte des mauvais traitemens qu’il fait subir à sa femme, et dont toute la ville est instruite. Au milieu des invectives furieuses de l’amant et des ironies de son adversaire, lequel, il