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DU THÉÂTRE EN ANGLETERRE.

faut bien l’avouer, se trouve ici dans son droit, on vient avertir Agolanti que sa femme vient de mourir, succombant sans doute à l’excès de la souffrance morale. L’effet dramatique que cette nouvelle produit sur l’amant et sur le mari est très remarquable. Les épées tombent des mains des combattans ; la clochette des morts retentit dans la rue ; Antonio se découvre, le mari reste muet sans se découvrir. « Découvre-toi, infame ! » lui dit Antonio.

Cependant, comme on le devine, Ginevra n’est pas morte. Placée selon la coutume italienne sur le lit de parade, elle s’est éveillée de sa léthargie, et, couverte du linceul, elle est allée frapper à la porte de son mari qui, dans sa terreur superstitieuse, l’a refermée violemment et est tombé à genoux. Ainsi repoussée, elle se dirige vers la demeure d’Antonio qu’elle trouve seul, la nuit, la tête appuyée sur un des pilastres qui soutiennent le portique de sa maison.


Antonio. — Ô la plus belle et la plus aimable ! ma vie est un veuvage, et elle n’a pas été à moi !… (Ginevra s’arrête à quelque distance de lui.)

Ginevra. — Antonio !

Antonio. — Ô ciel et terre ! qui es-tu ?

Ginevra. — Ne crains pas de me regarder, Antonio ; je suis Ginevra ensevelie, mais vivante ; je suis sortie, et personne ne me veut laisser entrer ; ma mère elle-même est effrayée de ma voix, et je viens, errante et sans asile, frapper à ta porte. Prends pitié de moi, bon Antonio ; délivre-moi de cette terreur des rues désertes pendant la nuit.

Antonio. — Oh ! de toutes les choses terribles et belles, qui es-tu ? N’es-tu pas un ange qui descend du ciel pour m’annoncer des épreuves à subir et des combats à livrer ? ou bien es-tu vivante encore, et cette main peut-elle toucher la mienne ?

Ginevra. — Prends ma main, et conduis-moi vers ta porte, car la peur, l’étonnement et une longue défaillance ont fait de moi une terreur pour moi-même, et je ne sais comment je puis me soutenir. (Antonio s’avance lentement, timidement, touche sa main et la presse sur son cœur.)

Antonio. — C’est Ginevra elle-même !… et dans mes bras !… elle tombe !… ô mon amie !… cette joue dont les larmes se mêlent aux miennes !… Elle mourra, elle mourra, et je l’aurai tuée !

(Ginevra, glissant de ses bras, tombe à genoux.)

Ginevra. — La force va me revenir du sein même de la faiblesse. Ô Seigneur ! ô bon Antonio ! sois tout ce que je pense de toi, et ne pense pas mal de moi. Que je puisse passer le seuil de ta porte sans craindre une flétrissure pour un malheur sans tache.

Antonio. — Oh ! lève-toi ! quand je croirai que tu peux te soutenir, je me tiendrai à distance… tu resteras loin de ce cœur qui t’aime, mais qui te respecte. J’étais fou, je le suis encore de te retrouver vivante et si près de moi : mais, ô créature bien aimée ! ange d’Antonio ! Dis un mot seulement, parle, et je t’aime tant, qu’après t’avoir fait goûter le pain et le vin qui répareront tes forces, je te rendrai moi-même à ta maison, à ton mari, je rendrai le ciel à cet homme qui se repentira sans doute.