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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

teur Antoine Arnauld, de l’évêque d’Angers, de la mère Angélique. Dix de ses enfans moururent en bas-âge ; sept autres se consacrèrent à la vie religieuse.

De cette biographie des premiers Arnauld, M. Reuchlin passe à l’histoire des jésuites. Il raconte avec une antipathie non équivoque leur arrivée en France, leurs subterfuges pour obtenir la permission de s’établir à Paris, leurs luttes incessantes avec le parlement et l’université, leur accroissement successif, et enfin leur pouvoir. Chassés en 1594, après l’attentat de Chastel, ils demandèrent bientôt à revenir, et revinrent plus puissans que jamais. À leur arrivée en France, ils n’étaient que dix. Moins d’un demi-siècle après, leur nombre s’élevait déjà à 10,000. En 1561, à la réunion de Poissy, ils avaient accepté toutes les conditions que le parlement leur imposait, même celle de renoncer à leur nom. Ils le reprirent plus tard avec éclat. Ils avaient eu peur des évêques, du parlement, de l’université ; un jour vint où c’étaient eux qui faisaient peur à tous les grands corps de l’état. Renfermés d’abord dans l’enceinte d’un collége, astreints aux devoirs obscurs de l’éducation secondaire, ils obtinrent peu à peu de nouveaux priviléges, se répandirent au dehors, et envahirent les établissemens scientifiques, les tribunaux, l’église, la cour. Ils donnaient des banquiers aux villes de commerce et des confesseurs aux rois. Richelieu subit leur influence, et Louis XIV se courba sous leur pouvoir.

M. Reuchlin attribue en grande partie à la lutte du parlement avec les jésuites l’espèce de servitude morale dans laquelle cette haute magistrature tomba au temps de Louis XIV. « Le parlement, dit-il, remplit un rôle remarquable dans les dissensions de Richelieu avec la famille de Louis XIII, il apparut alors comme un arbitre élu au nom du peuple par les deux parties, mais, choisi surtout par les opprimés. À cette époque, il n’en perdit pas moins son pouvoir. Les corporations, les états provinciaux avec leurs priviléges, cédaient à l’absolutisme du ministre. Le parlement avait lui-même frayé la voie à l’absolutisme par la violence de ses persécutions contre les jésuites. Pour les rejeter dans les bornes les plus étroites, ils avaient posé en principe que le pouvoir temporel appartenait sans restriction (unbeschrànkt) au roi. Qui profita de ces priviléges ? ce furent les jésuites. Quand le parlement commença cette persécution, il avait à craindre l’anarchie. Les choses changèrent, il continua à poursuivre le fantôme qui l’effrayait et courut lui-même à sa perte. Souvent ainsi, pendant plusieurs générations, les rois et les peuples s’attachent à combattre ce qui n’est plus dangereux, et oublient le péril imminent qui les menace.

« Bref, le parlement perdit sa vieille et haute importance, avant même que Louis XIV vînt lui dicter, avec le fouet en main, sa souveraine volonté. Il n’avait pas été saisi et abattu par l’orage, mais il était divisé et isolé. L’unité de ses traditions et son esprit de corps n’existaient plus. Jamais il n’avait eu en apparence autant de force, jamais il n’avait pu porter ses prétentions si haut qu’après la mort de Richelieu. Malheureusement ce n’était qu’un état transitoire. Dans les troubles de 1648 et de 1649, le parlement se perdit lui-même, en se séparant de la bourgeoisie pour se ranger du côté des classes infé-