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rieures. Toute cette entreprise fut sans force. Les membres du parlement la paralysèrent eux-mêmes par la diversité de leur conduite. Les uns se courbèrent devant l’absolutisme ; d’autres cherchèrent un gain méprisable dans les détours sans fin des procès, et devinrent bientôt l’objet de la risée générale ; d’autres, comme Broussel, fraternisèrent avec la plèbe tumultueuse ; d’autres enfin, comme Barillon, Le Maître de Sacy, Le Noir, et avant tout Arnauld[1], se jetèrent dans une pieuse résignation. Ceux-là se sentaient trop de dignité pour se mettre au service de la populace ou du despotisme. Ce n’est pas le seul exemple que l’on ait de sectes religieuses enfantées par le renversement d’un ordre politique. Il fallait céder ; les familles parlementaires le savaient. Il fallait abandonner les droits que leurs ancêtres avaient si glorieusement défendus. Mais ceux qui se sentaient vraiment hommes ne voulaient pas sacrifier ainsi le sentiment d’eux-mêmes, leurs priviléges, leur liberté. C’était à Dieu seul qu’ils les rapportaient, c’était devant lui seul qu’ils croyaient pouvoir s’humilier sans bornes ; mais cette pieuse résignation, cette solitude en Dieu, était un asile. En renonçant au monde, on sortait par-là même de la sphère où l’arbitraire remplaçait la loi, où l’esclavage étouffait la liberté. L’absolutisme toujours croissant, qui s’était senti blessé par l’inflexible doctrine des disciples de Calvin, devait chercher à rompre les barrières de cet asile où il croyait entrevoir l’ombre de ses anciens ennemis. L’obéissance conditionnelle devait nécessairement être attaquée par une volonté qui ne reconnaissait ni lois ni limites. De là le combat, de là cette opposition loyale, consciencieuse, prête à supporter tous les sacrifices pour défendre ses convictions contre les chefs de l’église et de l’état[2]. »

Une fois ces deux principes posés l’un en face de l’autre, une fois la lutte indiquée par ces premiers aperçus, M. Reuchlin reprend l’histoire des Arnauld, qui furent les plus vigoureux, les plus dignes champions de cette sainte opposition. Il raconte tour à tour, avec une sorte d’enthousiasme philosophique, avec le langage du cœur et de l’esprit, la vie éclatante, les soucis parlementaires, l’humilité sublime de Robert d’Andilly, qui, après avoir passé par les plus hauts emplois, abdique tout à coup ses titres, son pouvoir, et se retire dans la solitude de Port-Royal, pour traduire les pères de l’église. Il raconte la vie de son frère, le pieux évêque d’Angers, et celle de cet ardent et inflexible Antoine Arnauld, qui après quarante années de combat, proscrit, mais non vaincu, répondait au tendre Nicole, qui lui témoignait le désir de se reposer : « Nous reposer ! N’avons-nous pas pour nous reposer l’éternité tout entière. »

Le IVe livre de cet ouvrage est tout entier consacré à la biographie d’Angélique. Jusque-là l’auteur n’a fait qu’indiquer çà et là, et comme au dernier plan, la retraite de Port-Royal-des-Champs. Ici, il retrace son origine, son développement successif et son état de délabrement à l’époque où Angélique y entra avec le titre d’abbesse, toute jeune encore, mais douée de la puissante

  1. Ces noms ne nous semblent pas assez rigoureusement groupés.
  2. Zweites Buch, pag. 129 et 130.