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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/21

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L’IRLANDE SOCIALE, POLITIQUE ET RELIGIEUSE.

donner à la classe moyenne naissante quelque force et quelque ascendant. Dans les hommes qui exercent les professions libérales ? Toutes leurs habitudes et tous leurs instincts les portent vers les idées démocratiques. Si l’on voulait constituer en Irlande une aristocratie catholique, il faudrait donc commencer par confisquer les terres des protestans, non pour les diviser, mais pour les donner telles qu’elles existent aux descendans des vieilles familles irlandaises autrefois dépouillées. Est-ce là ce qu’on propose ? et existe-t-il au XIXe siècle un homme d’état assez insensé pour rêver un pareil projet ? En supposant que l’œuvre fût possible, on ne ferait d’ailleurs que déplacer la tyrannie et remplacer l’oppression de la majorité par celle de la minorité. J’ajoute qu’après avoir justement maudit l’aristocratie pendant sept siècles, le peuple irlandais ne peut guère séparer le principe de ses résultats, et se contenter d’un changement de garnison, le jour où il se sent maître d’abattre la forteresse.

Sous tous les rapports, M. de Beaumont a donc parfaitement raison de regarder comme une chimère la substitution d’une aristocratie catholique à l’aristocratie protestante. Il a raison, par conséquent, de chercher dans la réforme des institutions le moyen de soustraire définitivement l’Irlande à la tyrannie qu’elle subit depuis si long-temps. En quoi cette réforme doit-elle consister, et jusqu’où convient-il de la pousser ? Telle est la question qui reste à examiner. Je commence par la loi civile.

Au temps des lois pénales, la propriété catholique et la propriété protestante étaient régies en Irlande par des lois différentes. Aujourd’hui toute propriété relève d’une seule loi, la loi anglaise, qui, on le sait, a pour but avoué d’empêcher autant que possible la terre de se diviser et de changer de mains. Mais si en Angleterre la propriété immobilière est l’apanage d’un petit nombre de familles, à côté de cette propriété, il en est une autre que l’industrie crée, que l’épargne augmente, et qui, plus puissante chaque jour, marche déjà de pair avec son orgueilleuse rivale. Ainsi, en Angleterre, sur plus de seize millions d’habitans, il y en a cinq millions seulement voués à l’agriculture, de sorte que plus des deux tiers de la population échappent à la dépendance des maîtres du sol. En Irlande, au contraire, sur huit millions d’habitans, un million et demi tout au plus demandent leurs salaires à l’industrie et au commerce. Six millions et demi sont donc attachés au sol ou privés de tous moyens d’existence. Appliquez maintenant la loi anglaise à un tel état de choses, et voyez quels en doivent être les résultats. D’une part, une population misérable, dé-