gradée que ne soutient ni n’excite l’espoir de devenir à son tour propriétaire ou d’améliorer son sort par son intelligence et son activité ; de l’autre, une race de propriétaires dure, égoïste, insensible à des maux trop nombreux et trop invétérés pour qu’elle puisse les soulager, ne songeant qu’à tirer du sol le plus gros revenu possible avec la plus petite mise de fonds : c’est en effet la situation de l’Irlande. Comme après tout, dans ce malheureux pays, la terre est la seule ressource et qu’il faut en occuper un fragment ou mourir, tout le monde se jette sur la terre avec frénésie, avec désespoir, et s’en dispute les lambeaux. De là, par un contraste étrange, des fermages qui augmentent à mesure que la misère s’accroît. Ajoutez qu’entre le propriétaire et le cultivateur véritable il y a souvent trois ou quatre intermédiaires dont chacun a ses profits à faire, et qui pèsent tous à la fois sur le pauvre paysan. Ajoutez aussi qu’en définitive la terre, dans ce système, produit moitié moins qu’en Angleterre et en Écosse, et que les abus de la grande propriété et les inconvéniens de la petite culture se trouvent ainsi réunis.
Ceux qui voudraient se faire une idée exacte des diverses manières d’exploiter la propriété en Irlande, et de toutes les souffrances auxquelles la population est condamnée, doivent lire le livre de M. de Beaumont. Je ne puis ici que constater le mal et indiquer le remède. Ce remède, c’est selon M. de Beaumont et selon presque tous les écrivains qui ont étudié la question, de faire en sorte que le peuple puisse devenir propriétaire. Mais il reste à savoir comment on peut obtenir cet heureux résultat. Un publiciste allemand dont l’ouvrage a eu beaucoup de succès, M. Van Raumer, va droit au but et demande tout simplement que les fermiers soient déclarés propriétaires. M. de Sismondi, sans trancher aussi brusquement la question, désire que le droit des propriétaires soit converti en une rente foncière dont un acte législatif déterminerait la quotité. M. de Beaumont répudie de tels moyens comme injustes et violens. Il veut, quant à lui, non qu’on dépouille ceux qui possèdent aujourd’hui, mais qu’on rende la propriété accessible à ceux qui ne possèdent pas. Pour cela il propose d’une part d’abolir les substitutions et le droit d’aînesse, de l’autre de délivrer la propriété de toutes les entraves légales qui l’enchaînent aujourd’hui. Ainsi, une des principales difficultés que rencontrent en Irlande comme en Angleterre la vente et le morcellement des héritages, c’est l’obscurité dont, par l’absence de tous actes publics, la propriété est enveloppée ; c’est aussi le prix énorme qu’il en coûte pour faire examiner par des hommes de loi des titres