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M. Cassandre est un Molière au petit pied auquel il n’a peut-être manqué, pour arriver à la renommée, qu’un champ plus vaste, c’est-à-dire un grand théâtre avec de bons acteurs vivans, et un pays où la censure n’existe pas. Les Romains prétendent que depuis un an ou deux le bonhomme commence à vieillir, qu’on s’en aperçoit à un peu de radotage et à une certaine stérilité d’invention dans les canevas et le dialogue, qu’on ne lui aurait pas reprochés il y a quelques années. Nous n’avons pu juger du plus ou moins d’exactitude de ces critiques ; tout ce que nous savons, c’est que M. Cassandre nous a fait passer de fort agréables soirées. Mais revenons au théâtre Fiano.

Cassandrino dilettante e impresario est l’une des pièces les plus amusantes de son répertoire. C’est une suite de scènes folles et singulières, imitées la plupart d’une comédie de Sografi. Les mœurs et les ridicules retracés dans cette petite composition n’ont pas d’analogues en France, et nous font connaître tout un coin des mœurs italiennes ; nous l’analyserons donc avec quelque détail.

Cassandrino s’est trouvé pris tout à coup d’une belle passion pour la musique, un peu tard, il est vrai ; mais comme toutes les passions sur le retour, la sienne est excessive, et il veut à toute force la satisfaire. Non content d’écouter, il pratique. Un jeune maestro de ses amis, qui le flatte pour en tirer quelques écus, lui persuade qu’il a une voix de soprano magnifique, qu’il excelle surtout dans le falsetto (la voix de tête), et qu’au besoin il remplacerait Davide ou Pacchiarotti. Cassandrino s’essaie donc dans les falsetti, et poursuit de sa voix aigre et chevrotante tous ceux qui viennent le visiter. Sa passion étant arrivée au plus haut degré, il avise un moyen merveilleux de la satisfaire. Il loue la salle de théâtre de Montefiascone, et le voilà impresario. Il recrute à grand renfort d’écus le tenore, la prima donna, le basso cantante, le basso buffo ; il se réserve les parties les plus élevées, où brille le falsetto. Puis il achète à l’un des vingt poètes de Montefiascone le libretto de Crolinda (Clorinde), qui lui coûte six écus, et il charge son jeune ami le maestro de faire la musique de ce poème, lui recommandant surtout de lui ménager les falsetti les plus brillans.

Le plus difficile n’est pas de recruter la troupe, d’acheter le poème et d’en composer la musique ; c’est de mettre tout ce monde d’accord, et d’accord de toutes les manières. Cassandrino est plein d’ardeur ; il connaît les hommes, il sait ménager leurs passions ; son éloquence est insinuante, sa conduite politique ; quelque difficile que soit cette entreprise, il la mènerait donc à bonne fin, s’il pouvait triompher de deux grandes faiblesses, de sa passion pour la musique d’abord, et de