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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

il en vient au détail des petites infirmités qui, bien qu’il soit encore à la fleur de l’âge, lui rendent assez pénible le métier d’amoureux. — D’abord il dort mal, mais cela tient à l’excès de chaleur de son sang. Il regrette aussi les six dents qui lui restaient, et qu’il a remplacées par un ratelier qui le gêne cruellement, et qu’il craint de voir tomber dans son assiette ou d’avaler toutes les fois qu’il mange avec appétit. Il se sent en outre fort gêné par son habit vigogne et par son pantalon, que le tailleur anglais de la rue du Babouin a fait si juste, qu’une fois à genoux il lui est fort difficile de se relever. Sa complainte ne finirait pas si tout à coup il ne se rappelait qu’on l’attend pour la première répétition de l’opéra de Crolinda.

Auteurs et acteurs sont réunis dans le ridotto (foyer) du théâtre de Montefiascone, autour d’un méchant piano auquel le maestro est assis. Le ridotto sert en même temps de salle de répétition et de cuisine pour la troupe, et, tandis que les virtuoses s’exercent, le tournebroche marque la mesure. Rien de vif et de plaisant comme les débats de ces pauvres diables de musiciens. L’amour-propre le plus naïf et le plus exalté, l’ambition la plus folle, tournent la tête de ces grotesques personnages, et tous étalent à la fois les prétentions les plus extravagantes. Le ténor est Napolitain, et ne peut prononcer que la moitié des mots ; le basso, de son côté, veut que chaque morceau à effet qu’il doit chanter finisse par le mot patria, parce qu’il sait que les provinciaux applaudissent toujours ce mot avec fureur. La prima donna, qui autrefois a débuté au cirque de Guerra, et qui excelle dans l’équitation, exige absolument que sa première entrée ait lieu à cheval, et que ce cheval soit blanc ; il faut, en outre, que les mots aurore et speranza, sur lesquels elle s’est particulièrement étudiée à faire des roulades, remplacent tels autres mots du libretto. Ces conditions remplies, la répétition commence.

Le basso est enrhumé et chante du nez comme un rabbin. Le ténor a une admirable voix ; malheureusement il prononce à la napolitaine, et il est impossible de comprendre un mot de son rôle. La prima donna est sans doute excellente écuyère, mais elle ne peut saisir sans fausser le passage de tel ton à tel autre ton ; enfin les falsetti de Cassandrino égaient toute la troupe, qui ne cesse de rire que pour se révolter contre le maestro. Le maestro, de son côté, est furieux contre chacun des acteurs, qui ne comprennent pas sa musique. Aux mots piquans succèdent les personnalités cruelles. Quels que soient les griefs de Cassandrino contre le maestro son rival, comme il voit que son opéra va manquer, il essaie de s’interposer entre ces disputeurs acharnés ;