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beaucoup de raisons de croire que cette résistance ne serait rien moins qu’invincible. Il n’est pas besoin de dire que dans ce système, tous les biens de l’église, c’est-à-dire six cent soixante dix mille acres de bonnes terres, feraient retour à l’état, qui, en les vendant par parcelles, pourrait commencer à constituer en Irlande la petite propriété. Quant aux dîmes, elles deviendraient un impôt foncier qui se confondrait avec les autres. Ministres protestans et prêtres catholiques, tous seraient dans la même situation et recevraient du trésor public une égale allocation.

Ainsi, dans l’ordre civil, partage égal des successions ; dans l’ordre politique, abolition au profit du gouvernement central des priviléges aristocratiques ; dans l’ordre religieux, retour à l’état des propriétés ecclésiastiques de toute nature, et paiement égal des ministres de tous les cultes, telles sont les réformes que propose M. de Beaumont, réformes excellentes et que j’approuve toutes : mais ces réformes suffiraient-elles, et l’Irlande, une fois qu’elle les aurait obtenues, marcherait-elle d’un pas rapide vers une ère toute nouvelle de puissance et de prospérité ? M. de Beaumont paraît le croire, et je désirerais être ici encore de son avis. Malheureusement, il est une question à laquelle il attache peu d’importance, et qui, dans l’état actuel de l’Irlande, me paraît la première de toutes ; cette question, je n’ai pas besoin de le dire, est la question économique, surtout en ce qui touche la population. Comme c’est entre M. de Beaumont et moi le seul désaccord sérieux, je suis forcé, pour bien fixer le point en litige, de rappeler quelques principes et d’entrer dans quelques détails.

Parmi les vérités que l’économie politique moderne a mises en lumière, il en est une plus incontestable que toutes les autres et que nulle objection n’a pu ébranler jusqu’ici : c’est que la population, si elle n’était pas limitée par les moyens de subsistance, doublerait au moins tous les vingt ans. Quand les économistes anciens signalaient entre la population et la richesse d’un pays un rapport intime et nécessaire, ils avaient donc raison ; mais ils avaient tort quand ils en tiraient cette conséquence, qu’on favorisait les progrès de la richesse en donnant des encouragemens directs à la population. C’était là prendre l’effet pour la cause, et intervertir la relation véritable des deux faits. La richesse n’augmente pas parce que la population s’accroît ; mais la population s’accroît parce que la richesse augmente, ce qui est bien différent. Sur ce point, tous ceux qui ont étudié la question sont aujourd’hui d’accord, et il n’y aurait pas assez de sifflets pour le législateur qui, dans une société comme la nôtre, viendrait, à l’exemple des