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avait été lui-même chargé d’écrire le discours d’ouverture, où nombre de vers heureux et élégamment spirituels parurent tout aussitôt de bon présage ; même le public alla, je crois, jusqu’à décerner au poète une ovation sur la scène. Sans mériter, il s’en faut, une approbation aussi démesurée, les Vêpres siciliennes étaient une œuvre remarquable à plus d’un titre, ne fût-ce que par la hardiesse d’un sujet très périlleux, dont l’exécution n’avait pas démérité, un peu sonore d’ailleurs et redondante comme toute inspiration juvénile. Basée sur une catastrophe où des milliers de Français périrent victimes, l’action devait naturellement exciter un intérêt plein d’émotion dans tous les cœurs, intérêt auquel sut aider le poète par une fable attachante liée à l’évènement principal qu’elle préparait avec assez d’habileté malgré quelques invraisemblances et quelques longueurs. On y pouvait admirer çà et là des situations frappantes à côté de quelques scènes mal amenées ; le caractère de Montfort, si loyal et si généreux dans ses inconséquences, celui plus énergique et plus brillant du conspirateur Procida, rachetaient suffisamment le personnage faible et embarrassant d’Amélie. Des traits vifs et chaleureux, un style pur, élégant, animé, presque toujours approprié à la couleur du sujet, la reproduction fidèle des mœurs et du caractère de l’époque, composaient un mérite d’ensemble suffisamment élevé, et signalaient, sinon un esprit bien saillant et bien profondément original, du moins assez de forte conception et de facile verve.

Les Comédiens, joués à quelques mois de là (6 janvier 1820), furent un timide essai dans le genre aristophanique. L’auteur avait été blessé justement du refus dédaigneux infligé à son premier ouvrage, et à tout prix il en voulait tirer vengeance ; pour cela, rien n’était plus à propos que de mettre en scène messieurs les comédiens avec toute leur morgue et leurs travers persistans. Un jeune auteur dramatique, souffre-douleur obligé des intrigues et des cabales de coulisses, dut essentiellement faire partie du tableau. Comme on l’imagine, le beau rôle était pour le poète, et il parut hors de doute, malgré toute protestation contraire du prologue, que M. Delavigne s’était peint lui-même sous les traits de Victor. Sans contredit, les quolibets malicieux, les vives et piquantes allusions, le persifflage à bout portant, ne faisaient point défaut à la pièce ; mais, par malheur, la plus légère attention démêlait un canevas faible, une action presque nulle, des mœurs et des caractères trop spéciaux. C’était, à vrai dire, une épigramme dialoguée avec esprit plutôt qu’une franche comédie, une satire personnelle plus qu’une peinture générale, et où