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bien que faussant la réalité historique. Le personnage malicieux, ironique, moqueur du petit moine Peblo incidente gaiement l’action avec un aimable ressouvenir de Chérubin. Comme contraste, la rivalité fatale de don Juan et de Philippe II, amoureux l’un et l’autre de dona Florinde sans la connaître, et la scène de provocation du quatrième acte, font une part suffisante à la terreur. Mais si Charles-Quint a paru d’une teinte de philosophie par trop voltairienne sous le capuchon de frère Arsène, son terrible successeur n’est pas montré sous un jour plus conforme à l’histoire. Il y a loin de cette création au Philippe II de Schiller, si vivant et si vrai. On ne conçoit guère le sombre Philippe II, malgré son âge, amoureux et galant comme un dameret ; en tout cas, on a peine à se figurer cet altier despote au geste absolu, faisant de si misérables et de si vains efforts pour vaincre la résistance d’une jeune fille. Cette adoration singulière et obstinée d’une juive par deux princes dévots comme tous bons Castillans, n’est pas un moindre démenti donné à l’Espagne catholique du XVIe siècle. On devine aisément que l’auteur, dans son parti pris de drame romanesque et amusant, a dû se soucier assez peu des invraisemblances non plus que des effets forcés, et que satisfait d’égayer le parterre par de spirituelles saillies, par de vives et gaies inventions, il a sacrifié sans remords toute exigence d’art sérieux.

On l’a souvent remarqué, et cela surtout apparaît en Don Juan d’Autriche : M. Casimir Delavigne, mieux que tout autre poète au monde, a sondé habilement les secrètes préférences de la foule et les tendances passagères d’un jour ; mieux que personne, il a su les prévenir d’avance, y céder à temps, leur complaire avec charme et s’en rendre l’interprète d’affection. Toujours il a pressenti quelle juste dose de gaieté ou de pathétique convient pour faire accepter à point une idée ou un sentiment perçu en commun ; d’ordinaire il mesure le développement d’une scène, l’intensité d’une situation, en raison de l’intelligence ou de la sensibilité présumée d’un auditoire en expectative. Le poète fera au besoin, pour le succès de sa cause, de la propagande politique sous le couvert d’une œuvre purement littéraire, et du prosélytisme philosophique sous le voile dérobé d’une innocente fiction. Peut-être, par sa prudence un peu méticuleuse, ne satisfait-il aucun parti extrême, mais à coup sûr il rallie l’armée entière des opinions flottantes qui se rangent volontiers dans le milieu impartial. Trop timide aux yeux de quelques-uns, point assez hardi pour les autres, M. Casimir Delavigne s’inquiète avant tout de la masse, et discerne par instinct en quel point se groupe la majo-