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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

rité des votes. Dès-lors tous les traits les mieux aiguisés de son esprit, tous les plus sûrs effets de son discours sont directement lancés vers le but indiqué par son ambition. Rien, pour l’atteindre, ne saurait lui coûter trop, ni sa conviction littéraire primitive de jour en jour immolée, ni tout l’ennui inséparable du désir de plaire et du soin scrupuleux de réussir[1].

Une famille au temps de Luther peut être considérée comme une trêve indifférente dans l’œuvre générale de M. Casimir Delavigne. Pas un pouce de terrain n’y est gagné ou perdu dans la voie d’un progrès quelconque. C’est un de ces essais sans résultat qui laissent toutes questions en leur place. Le même système de conciliation entrepris depuis Louis XI s’y continue et s’y clôt jusqu’à présent avec quelques particularités qui se recommandent à la curiosité beaucoup plus qu’à l’intérêt moral du spectateur. Une tragédie en un acte et sans amour devait passer à coup sûr pour une nouveauté bizarre, et jusqu’ici tout-à-fait sans exemple au théâtre ; mais hors cela, l’auteur reste fidèle, comme précédemment, à son parti pris de fusion dramatique. Il se partage dans une mesure presque égale entre la méthode ancienne et le genre moderne. Le sujet est emprunté à l’histoire des trois derniers siècles. C’est la lutte de deux frères de religion différente, dont l’un catholique fervent, et l’autre près d’être converti au luthéranisme. La péripétie consiste en ce que le fanatisme romain de Paolo aboutit, par la rigueur de ses conséquences, au meurtre de Luigi. La scène, placée dans une salle basse de métairie, les détails les plus familiers de la vie domestique abordés sans hésitation, un rôle de vieux serviteur qui égaie par sa raison verbeuse, font ressembler la pièce à une sorte de drame bourgeois et intime, dans lequel M. Delavigne ose plus, à quelques égards, que Diderot et Lachaussée ; et, d’autre part, la simplicité des moyens, la nullité de l’intrigue, l’élégance constante de la versification, l’usage fréquent de la description et de la

  1. M. Casimir Delavigne triomphe à la scène tout au rebours de M. Victor Hugo. Suivant l’ingénieuse comparaison d’un homme de beaucoup d’esprit, M. Hugo conquiert l’assentiment public et vient à bout des résistances un peu par brutale contrainte, pareil à ce duc de Guise du drame de Henri III qui froisse sans pitié la délicate main de sa femme dans son gantelet d’acier. M. Delavigne, au contraire, ainsi qu’un hôte cérémonieux, vous invite à sa fête avec toute sorte d’avances polies et de ménagemens discrets. Mais si l’étreinte impérieuse de M. Hugo laisse après elle comme une poignante sensation et une sorte de meurtrissure, la courtoisie charmante de M. Delavigne n’a souvent abouti qu’à un plaisir trop froidement assaisonné.