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exaltés au début encore brûlant d’une révolution, comment supposer, disons-nous, que ce ministre, mûri par l’âge et l’expérience, vienne reprendre les affaires uniquement pour donner un démenti à sa vie passée ? Encore une fois, l’esprit se refuse à le croire. Mais, pour mieux appuyer nos convictions à cet égard, nous allons chercher avec sincérité quels changemens ont pu avoir lieu ou se préparent dans la politique intérieure et extérieure de la France.

Rappelons-nous d’abord, sans nous y arrêter, ce qui s’est passé depuis cinquante ans. Dans ces cinquante années, il y a eu trois Europes, celle de la révolution, l’Europe de l’empire et l’Europe de la restauration : celle-ci nous a été léguée beaucoup plus intacte qu’on ne le pense. La révolution française, en changeant tous les rapports de la France avec les puissances européennes, en lui créant de nouvelles rivalités, en lui aliénant ses anciens alliés, et en brisant les nœuds de parenté qui l’unissaient à divers états, dérangea à la fois l’équilibre général et le droit public en Europe, qui subsistaient encore sur les bases établies au XVIIe siècle par le traité de Westphalie. Les souverains de l’Europe, intéressés à maintenir ces bases, menacés dans leur propre existence, se liguèrent contre la France et méditèrent son partage. C’est dès ce moment que se présente dans l’histoire moderne un fait ou plutôt un principe que tous les actes politiques, que tous les traités, que les évènemens même, les évènemens les plus indépendans de la volonté des nations et des rois, ont semblé concourir à consolider. Nous parlons de la coalition tacite ou avouée, immédiate ou projetée, active ou expectante, de la majorité des états de l’Europe contre la France.

En s’arrêtant à ces faits, la pensée serait tentée de rétrograder jusqu’aux dernières années du règne de Louis XIV pour y chercher l’origine de cette coalition ; mais il existe en réalité une différence essentielle entre la grande coalition de 1689 et celles qui l’ont suivie. Louis XIV et la France, ambitieuse sous lui comme elle le fut depuis sous Napoléon, excitaient la haine et la jalousie de l’Europe ; mais Louis XIV était lui-même un principe, un principe qui représentait à la fois le droit des princes et leur force, et ni l’Espagne, ni l’empereur, ni les états d’Italie, ni même l’Angleterre et la Hollande ne voulaient le détrôner. L’existence sociale de notre pays ne fut menacée, la lutte ne devint en quelque sorte personnelle que lorsque, par la révolution, le peuple français eut limité le pouvoir de son souverain ; elle devint mortelle quand il eut frappé en lui, avec un affreux excès de rigueur, tous les souverains sur leur trône.