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RÉFLEXIONS POLITIQUES.

heureusement, ce goût presque forcé d’inertie était compliqué d’une autre tendance qui ne mériterait pas d’être examinée aujourd’hui, si elle ne touchait à la naissance du ministère actuel, et ne motivait pour ainsi dire sa nécessité.

Il y a dans un livre publié récemment en Allemagne, et conçu dans l’esprit le plus hostile à la France, un passage où l’on définit cependant avec quelque vérité la nature et les effets de l’opposition radicale ou ultra-démocratique, comme on voudra la nommer. Selon le publiciste étranger, dont l’ouvrage a fait une grande sensation, le véritable esprit démocratique manque totalement en France, et il assure que les différentes phases de notre première révolution ont démontré la vérité de cette assertion jusqu’à l’évidence. Le sombre et rigoureux esprit de nivellement qui s’emparerait de l’Allemagne si elle en venait à regarder une révolution comme une nécessité de l’amélioration de sa vie sociale, cet esprit (nous continuons de citer l’écrivain allemand), cet esprit n’a jamais été compris par le peuple français, et il l’a méconnu particulièrement chaque fois qu’il a décrété que la liberté et l’égalité seraient les bases de son organisation. Un certain esprit d’aristocratie, une soif ardente de la gloire, de l’honneur, des distinctions, du rang, du pouvoir, n’ont jamais cessé d’animer la France ; et avec ces qualités on peut arriver à fonder tout, hormis l’empire de l’égalité. Plus le parti radical s’efforcera de s’allier étroitement à la masse populaire et de vivre dans son sein, plus les instincts aristocratiques, c’est-à-dire le besoin de s’élever et de dominer, s’y manifesteront rapidement. C’est pourquoi ce parti s’est approprié la révolution comme une chose à lui personnelle, dont il faut profiter et profiter seul. C’est ainsi qu’en lui marchent, par voies différentes, les individus, les séries, les sections, les comités et les directeurs. Ici la division des forces annonce aussi la division des moyens et des pensées, et cette division du parti radical, qui s’explique par l’histoire très analogue des partis violens dans la première révolution, tient un peu également aux différentes phases de sa fortune. Quiconque a suivi avec quelque attention l’existence du parti radical depuis 1830, a dû être frappé, en effet, du passage rapide et fréquent de sa puissance à une impuissance absolue, de l’activité de son influence à un état de nullité morale et de discrédit dans le pays. Ses adversaires l’ont vu quelquefois apparaître comme un ensemble, comme un corps, qu’on surprenait en armes sur la place publique ; puis, quand on l’avait vaincu, quand la loi l’avait frappé et relégué dans les cachots, on le voyait encore s’agiter comme une ombre, se manifester ailleurs sous mille