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apparences diverses, et bientôt d’autres faits apprenaient au monde que la propagande et le radicalisme ne consentaient pas, même après leur défaite, à se renfermer dans leurs théories. En suivant plus attentivement la marche du parti extrême de la révolution, on voit que ce n’est ni son état antérieur, ni le plus ou moins de découragement qu’il éprouve, qui déterminent ses phases d’activité ou de décadence, mais les changemens successifs qui ont lieu dans le pouvoir. On peut dire que le parti exagéré de la gauche exprime, quand il agit, la négation des forces sociales et gouvernementales. C’est l’aiguille qui marque le trouble, le désaccord et l’énervement qui règnent dans cette sphère ; mais dès que ce parti prétend passer à une action plus positive, se présenter comme une manifestation républicaine, consulaire ou constitutionnelle, son pied ne touche plus le sol qui est à lui, il perd à la fois l’équilibre, l’énergie, la force, et devient ainsi plus facile à combattre. Transformée en architecte (c’est le publiciste étranger qui parle), transformée en architecte, la gauche pure n’est qu’un personnage comique, une véritable caricature ; mais comme puissance destructive, c’est l’ennemi le plus redoutable de toutes les institutions qui n’ont pas leurs racines dans les mœurs et l’opinion nationales.

Il y a du vrai et du faux dans cette définition de la gauche pure. Laissons ce qui est faux ; mais c’est une observation pleine de justesse que celle qui a été faite, par l’écrivain étranger, de la coïncidence des transformations du parti radical et des modifications diverses du pouvoir. Au début de la révolution, toutes sortes de sentimens se mêlaient aux idées révolutionnaires : le sort de la nation belge tout entière en question, l’Italie persécutée avec une froide et systématique cruauté, la Pologne inondée de sang, l’Espagne, le Portugal, couverts d’échafauds ; c’étaient là des pensées à remuer tous les cœurs, et l’esprit de radicalisme et de propagande s’y glissait souvent à leur insu, sous le voile de la compassion. La gauche pure eut alors ce qu’on pouvait appeler une de ses époques morales, quoique l’émeute en fût quelquefois la traduction. Ce fut aussi par les forces morales que la combattit principalement le ministère du 13 mars, et l’on vit les plus hautes intelligences du pays faire taire leurs désaccords d’opinion, pour s’unir dans cette grande et noble tâche. Au 11 octobre, toutes les illusions qui pouvaient encore entraîner les esprits abusés vers l’extrême gauche, étaient déjà dissipées. Le parti intermédiaire s’augmenta considérablement. La gauche même se divisa en deux nuances, et le parti extra-parlementaire, se voyant isolé, tenta son effort le plus désespéré dans les journées de juin. Cette