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en roulant sur eux-mêmes, comme le fuseau d’une bergère échappé à sa main[1]. Ainsi, à un autre endroit, il prolongera dans le sable fin et mobile de la plage les ondulations vagues qui bercent la voiture et le rêve d’Antonia[2]. Son mouvement de style, aux places heureuses, est tout-à-fait tel, parfois rapide et plus souvent bercé.

Le roman d’Adèle, que je rapporte à cette première époque de Nodier, s’ouvre avec intérêt et vie : il y a du soleil. Le monde rentrant des émigrés en province y est assez fidèlement rendu. Les déclamations même sur la noblesse, sur les inégalités sociales, sur les sciences, ces traces présentes de Jean-Jacques, deviennent des traits assez vrais du moment. Bien des pages y sont délicieuses de simplicité et de fraîcheur : celle, par exemple, à la date du 17 avril, sur les fleurs préférées et les souvenirs qui s’y rattachent. On y voit déjà ce choix de l’ancolie qui en fait la fleur de Nodier, comme la pervenche est celle de Rousseau[3]. À la date du 8 juin, je note un doux projet d’Éden, un rêve adolescent de chaumière ; et puis (8 mai) l’ascension à la Dôle, le Chalet des Faucilles, ce joli nid à romans qu’on appelle pays de Vaud, et l’éblouissante splendeur des monts d’au-delà, de laquelle on peut rapprocher encore, dans la nouvelle d’Amélie, la plus flottante description de brume automnale et matinale au bord du lac de Neuchâtel ; car c’est le triomphe de cette plume amusée d’avoir à dérouler ainsi des réseaux tour à tour scintillans ou vaporeux.

Après cela, malgré les graces courantes, les longs rubans flexibles et les méandres de mots, les caractères dans ce petit roman d’Adèle laissent fortement à désirer. Adèle n’est pas une vraie femme de chambre, ce qu’il faudrait pour que la donnée eût toute sa hardiesse originale ; elle n’est qu’une demoiselle déclassée et méconnue. Maugis ne diffère en rien du pur traître des vieux romans de chevalerie ou de ceux de l’éternel mélodrame. La conduite de Gaston et des autres manque tout-à-fait d’une certaine faculté de justesse et de raisonnement qui n’est jamais tellement absente. Ce ne sont que personnages

  1. chap. IV.
  2. chap. V.
  3. Aimé De Loy, poète franc-comtois des plus errans et des plus naufragés, mais dont l’amitié vient de recueillir les débris sous le titre de Feuilles aux Vents, a dit quelque part, en célébrant une de ses riantes stations passagères :

    J’y cultive, au pied d’un coteau,
    La fleur de Nodier, l’ancolie,
    Si chère à la mélancolie,
    Et la pervenche de Rousseau.