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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

En vain une muse fardée
S’enlumine d’or et d’azur.
Le naturel est bien plus sûr.
Le mot doit mûrir sur l’idée
Et puis tomber comme un fruit mûr.

Cette coulante doctrine de la facilité naturelle, cet épicuréisme de la diction, si bon à opposer en temps et lieu au stoïcisme guindé de l’art, a pourtant ses limites ; et, quand l’auteur dit qu’en style tout effort est contraire au bien, il n’entend parler que de l’effort qui se trahit, il oublie celui qui se dérobe.

Un an avant la publication de ses propres poésies, Nodier donnait, de concert avec son ami M. de Roujoux, un second volume de Clotilde de Surville[1], qui est en grande partie de sa façon. Il s’était prononcé dans ses Questions de Littérature légale contre l’authenticité des premières poésies de Clotilde, et s’était même appuyé alors de l’opinion exprimée par M. de Roujoux[2]. Mais ce dernier possédait un manuscrit de M. de Surville avec des ébauches inédites de pastiches nouveaux, et les deux amis, malgré leur jugement antérieur, ne purent résister au plaisir de rentrer, en la prolongeant, dans la supercherie innocente.

Comme, après tout, la prétendue Clotilde est un poète de l’école poétique moderne, un bouton d’églantine éclos en serre à la veille de la renaissance de 1800, il convenait à Nodier, ce précurseur universel, d’y toucher du doigt. Il se trouve mêlé, plus on y regarde, à toutes les brillantes formes d’essai, à tous les déguisemens du romantisme.

En résumé, Nodier, par rapport à la nouvelle école qu’il aurait pu songer à se rattacher et à conduire, et qu’il ne voulut qu’aider et aimer, Nodier sans prétention, sans morgue, sans regret, ne fut aux poètes survenans que le frère aîné, comme je l’ai dit, et le premier camarade, un camarade bon, charmant, enthousiaste, encourageant, désintéressé, redevenu bien souvent le plus jeune de tous par le cœur et le plus sensible. Si on l’eût écouté, volontiers il ne leur eût été qu’un héraut d’armes.

Sur ces entrefaites, son existence s’était assise enfin et fixée. Il avait tâché de renoncer, dès 1820, à la politique si effervescente ; son insouciance pour sa fortune personnelle n’avait pas changé. En 1824, M. de Corbière, ministre de l’intérieur et bibliophile très éclairé, le

  1. Poésies inédites de Clotilde de Surville, chez Nepven, 1826.
  2. Au tome II, page 89, des Révolutions des Sciences et des Beaux-Arts.