Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/484

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
480
REVUE DES DEUX MONDES.

mais elle en a certainement provoqué la formation, ce qui revient au même pour le pays.

La conclusion qui jaillit du choc des systèmes est que, dans les institutions de crédit, le mal est tellement mêlé au bien, que l’enthousiasme des uns est aussi excusable que les violentes récriminations des autres. L’économie politique n’admet pas plus que la médecine les prescriptions absolues. Elle décrit les phénomènes généraux ; elle établit entre eux des relations de cause et d’effet, et indique un certain nombre de remèdes entre lesquels le docteur doit choisir, selon l’occasion et le tempérament de ceux qui souffrent. Appliquons donc nos observations à la France, et constatons ce qui existe, avant d’indiquer les innovations désirables.

La Banque de France a été formée en l’an VIII par des souscriptions particulières qui ont produit un capital de 45 millions, divisé en 45,000 actions de 1,000 fr. Ce fonds social, doublé en vertu d’un décret impérial, a été réduit à 67,900,000 fr. par l’amortissement fait par la Banque elle-même d’une partie des actions[1]. Une retenue faite sur le bénéfice forme une sorte de cautionnement qui, deux fois déjà, en 1820 et en 1831, s’est trouvé surabondant et a donné lieu à des répartitions supplémentaires entre les actionnaires[2]. Un arrêté qui date de 1838 a limité cette réserve à 10 millions, représentés par l’inscription d’une rente de 500,000 fr. en 5 pour 100, auxquels il faut ajouter le palais de la Banque avec ses dépendances, acheté près de 4 millions avant les embellissemens qui en ont augmenté la valeur. Mais la plus belle propriété de la compagnie est à coup sûr son privilége, qui lui accorde le droit d’émettre des billets assimilés à la monnaie légale, puisque leur contrefaçon entraîne la peine de mort. Ce privilége, obtenu d’abord pour quinze années et prorogé pour vingt-cinq ans de plus, en considération des services rendus au gouvernement impérial, expire enfin le 22 septembre 1843.

L’autorité est représentée à la Banque par un gouverneur et deux sous-gouverneurs nommés officiellement, mais rétribués par la compagnie. Les censeurs et régens qui composent le conseil d’administration sont délégués par les actionnaires. Forte de son privilége qui la met à l’abri de toute concurrence sérieuse, la Banque opère avec une sévérité qui lui a été souvent reprochée. La spéculation lui est interdite, si ce n’est sur les matières d’or et d’argent. Elle fait des avances sur lingots, inscriptions de rentes et titres d’une solidité inébranlable. Tout négociant honorablement placé est admis à présenter à l’escompte du papier sur Paris, à quatre-vingt-dix jours

  1. La banque d’Angleterre repose sur des bases beaucoup plus larges, mais aussi moins solides. Son capital consiste en une créance sur le gouvernement de 11 millions sterl. (175 millions de francs), pour lesquels l’état lui paie 400,000 liv. st. (10 millions de francs) d’intérêt.
  2. Une action de 1,000 francs, souscrite en 1800 et vendue en 1840 au cours de la Bourse, aurait rapporté environ 3,200 fr. pour les dividendes annuels, 350 fr. pour partage des bénéfices réservés, 2,250 fr. pour plus-value de l’action : total 5,800 fr., c’est-à-dire une moyenne de 145 fr. par année, ou 14 1/2 pour 100.