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TIRSO DE MOLINA.

Don Dionis. — Je n’ose pas.

Madelaine. — Ce doit être quelque chose de bien mal, puisque vous n’osez pas me le dire.

Don Dionis. — C’est quelque chose qui m’est trop favorable ; c’est le seul sujet de ma crainte.

Madelaine. — Je veux absolument le savoir. Parlez, je l’exige.

Don Dionis. — Tant d’insistance surmonte enfin ma timidité. Votre excellence, dans son sommeil… Mais je ne puis continuer.

Madelaine. — Finissez donc enfin, vous me fatiguez.

Don Dionis. — Votre excellence a laissé voir qu’elle ne me hait pas.

Madelaine. — Moi, comment ?

Don Dionis. — Elle a éclairé ma jalousie, et elle m’a promis en songe…

Madelaine. — Vraiment ?

Don Dionis. — Que je serais préféré au comte de Vasconcelos. Sont-ce là de faibles marques de bonté ?

Madelaine. — Don Dionis, ne croyez pas aux songes, car enfin… ce sont des songes.


Et elle s’éloigne, laissant en proie à de nouvelles incertitudes, à de nouvelles agitations, l’amant qu’elle vient d’enivrer de bonheur.

Il y a une autre scène vraiment charmante, mais qu’il est impossible de traduire, parce que l’agrément infini dont elle est remplie consiste dans une suite d’équivoques étroitement liées au génie et au tour particulier de la langue espagnole. Le vieux duc, bien éloigné de soupçonner ce qui se passe entre sa fille et don Dionis, demande à ce dernier s’il est content des progrès de son élève. Madelaine, feignant de rappeler les détails d’une leçon qu’il lui aurait donnée, fait allusion à son prétendu songe et à l’entretien dont il a été suivi. Dans un langage plein de dépit et d’irritation, elle se plaint de la maladresse de don Dionis, qui, dit-elle, s’embarrasse de tout, ne la comprend pas, et ne sait pas se faire comprendre. Elle met ainsi à profit la présence de son père pour adresser à son amant des aveux et des reproches que, seule avec lui, elle n’eût pas osé lui exprimer. La joie secrète de don Dionis, trouvant dans ces emportemens la preuve non équivoque de la passion qu’il inspire, la bonhomie du vieux duc, qui, prenant au sérieux la colère de sa fille, s’efforce de calmer ce qu’il regarde comme un caprice, et de la réconcilier avec son précepteur, tout cela forme un jeu de théâtre plein de grace, de naturel et de vrai comique.

Sur ces entrefaites on vient annoncer que le fiancé de la princesse, le comte de Vasconcelos, n’est plus qu’à quelques lieues d’Avero, où il doit arriver le lendemain. Il n’y a plus un moment à perdre pour rendre impossible le mariage projeté. Madelaine n’hésite pas. Enhardie par le désespoir qu’elle lit sur la figure de don Dionis, elle lui écrit de se trouver à minuit dans le jardin du palais, où finiront, dit-elle, les craintes du courtisan timide. À minuit, en effet, elle vient l’y chercher, et, l’appelant en termes caressans, elle l’introduit dans son appartement… À peine le jour a-t-il paru, qu’elle s’empresse,