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l’ivresse des sens le jargon d’un mysticisme dérisoire par lequel ils semblent se plaire à aiguiser le sentiment du plaisir autant qu’à abuser le crédule don Gomez, qui, témoin de leurs transports, de leurs jalousies, de leurs raccommodemens, n’y voit qu’autant d’élans de la piété de sa fille. On ne saurait imaginer une combinaison plus scandaleuse, plus immorale, nous dirions plus impie, s’il n’était souverainement injuste d’appliquer les susceptibilités de notre siècle sceptique à une époque où la foi religieuse était trop solidement établie pour qu’on pût voir dans de pareils écarts une attaque sérieuse dirigée contre elle. Tirso seul pouvait traiter un semblable sujet avec assez d’art, d’esprit, de malice, et y jeter une force comique assez puissante pour le rendre supportable. Quelque convaincu que nous soyons de l’impossibilité de transporter dans une autre langue des choses aussi profondément originales, nous tenterons de traduire un des passages les plus piquans de cette singulière comédie.

La sœur de Marthe, Lucie, a découvert le secret du prétendu étudiant. Don Philippe, qui, comme nous le verrons plus tard, a de puissantes raisons pour craindre d’être reconnu, essaie de s’assurer de son silence en lui persuadant que c’est pour elle qu’il a pris ce déguisement. Il y réussit avec d’autant plus de facilité qu’elle est d’avance toute disposée à accepter ses hommages. Bientôt Marthe les surprend à son tour dans les bras l’un de l’autre. À cette apparente trahison, sa jalousie éclate avec fureur. Vainement don Philippe essaie de la calmer en lui expliquant l’embarras où il s’est trouvé, l’artifice auquel il a dû recourir pour leur sûreté commune : elle n’écoute rien, elle menace de tout révéler à don Gomez. Don Philippe s’épuise en protestations et en prières. « Non, non, lui répond-elle avec emportement ; vive Dieu, je ne serai satisfaite que lorsqu’on m’aura vengée en vous donnant la mort. » Ces derniers mots ont été entendus par don Gomez, survenu à l’improviste avec son ami le vieux capitaine Urbina, celui-là même à qui il avait d’abord destiné la main de Marthe.


Don Gomez. — Qu’entends-je ? ma fille pousse des cris, ma fille jure ? Qu’est-ce que cela signifie ?

Le capitaine. — Une jeune fille jurer !

Don Philippe, à voix basse. — Eh bien ! cruelle, vengez-vous. Voici les deux vieillards, ils vous ont entendue, achevez de me donner la mort.

Marthe, à voix basse. — Ne dites rien. (Haut.) Un chrétien jurer ! violer ainsi le second des commandemens ! Prendre en vain le nom de Dieu ! Misérable étudiant, pas un mot de réplique, sortez à l’instant de cette maison, ou prosternez-vous et baisez la terre pour expier un tel péché. Voilà donc ce dont vous êtes capable ! Je ne puis contenir ma colère, je me sens toute brûlante ; sortez, vous dis-je, ou bien baisez la terre.

Don Philippe. — Madame, madame, doucement, je me fâcherai à mon tour. Il n’y a pas un si grand mal à invoquer le nom de Dieu lorsqu’on dit la vérité.