Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/533

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
529
AVENIR DE NOTRE MARINE.

soldats, un meilleur théâtre d’apprentissage, pour nos populations exubérantes une issue plus utile, pour notre activité nationale un plus beau terrain ? Nous nous plaignons de ce que coûte notre établissement d’Afrique ; mais sait-on bien ce qu’a coûté l’Inde aux Anglais ? La seule guerre des Birmans, liquidée par la compagnie, figure sur ses registres pour 110 millions, et ces 110 millions n’ont abouti qu’à l’occupation stérile de la ville de Rangoun, qui va être prochainement évacuée. On ne nous a pas encore pris Alger. En 1756, le sultan Chigari-el-Doulad s’empara de Calcutta, que Clive reconquit avec peine dix-huit mois après. Nous n’avons eu encore qu’Abd-el-Kader à combattre ; les Anglais eurent à réduire successivement Hyder-Aly en 1776, Tippoo-Saëb de 1784 à 1798, Mahadi-Scindia de 1800 à 1806. En 1818, un siècle et demi après l’installation définitive de la compagnie, les Maharattes résistaient encore dans les plaines de Pounah. Six ans après, c’était le tour des Birmans ; hier, on se battait devant Kaboul ; demain on se canonnera dans les mers de Chine. En dehors des charges de l’occupation armée, Alger n’a pas présenté celle de désastres commerciaux. La compagnie des Indes suspendit trois fois ses paiemens, et, en 1773, il fallut que le gouvernement vînt à son secours. Que l’on compare maintenant les deux occupations et que l’on dise quelle est la plus coûteuse et la plus militante.

Si l’on veut savoir quelles compensations présentent de tels sacrifices, l’Angleterre est encore là pour en témoigner. Certes, si, comme on l’assure, la passion d’agrandissemens lointains était onéreuse et fatale, l’Angleterre devrait en être, à l’heure qu’il est, au repentir et aux regrets : elle devrait pleurer sur ses ruines. Il est peu de contrées où elle n’ait mis les pieds, peu de territoires où elle ne se soit maintenue. Elle a poussé ce système jusqu’à l’abus, jusqu’à l’excès, sans témoigner un seul instant qu’elle fût ni lasse ni assouvie. Qu’en est-il résulté ? Qu’elle couvre aujourd’hui les mers de son pavillon, qu’elle commande à la dixième partie du globe, dont elle est à la fois la manufacturière et la tutrice. À chacun de ses succès coloniaux a répondu un succès industriel, et ses moyens de production se sont toujours ainsi tenus à la hauteur des besoins qu’elle avait à satisfaire. Le métier à tisser d’Arkwright, l’immortel mécanisme de James Watt, tout est venu servir à point les intérêts de sa grandeur et l’essor de sa fortune. Elle a été hardie, téméraire, dira-t-on ; non, elle n’a été que patiente et courageuse. Il suffit de vouloir aussi fortement, aussi obstinément pour maîtriser le succès. En toutes choses, le pire des expédiens, c’est de s’arrêter à mi-chemin. Qu’on ne s’engage pas lé-