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loppa ses facultés, mais par un travail sans suite, abandonné et repris souvent. Sa vie jusqu’à son mariage, qui eut lieu en 1838, fut très simple, nullement littéraire dans le sens extérieur que l’on donne à ce mot. Il n’aborda jamais aucun journal, ne publia rien, et partagea son temps entre ses lectures, ses secrètes études poétiques, et le monde qu’il aimait beaucoup. Il mourut l’année dernière, au château du Cayla, chez son père, ne laissant que des fragmens, et en très petit nombre. »

Telle est la courte notice biographique qui nous a été transmise sur un beau talent ignoré de lui-même et révélé seulement à quelques amis, aujourd’hui désireux de rendre hommage à sa mémoire par la publication d’un ou deux fragmens de poésie, seul héritage qu’il ait laissé, comme malgré lui, à la postérité. Après avoir lu ces fragmens, nous nous sommes engagé à cette publication avec ce sentiment de profonde sympathie que chacun éprouve pour le génie moissonné dans sa fleur, et croyant fermement accomplir un devoir envers le poète comme envers le public. Après l’intéressant travail publié dernièrement dans la Revue sur Hégésippe Moreau, cette notice et ces citations doivent trouver place et mériter quelque attention. S’il y a une certaine similitude dans ces mélancoliques destinées, dans ces gloires méritées, mais non couronnées, dans ces morts prématurées et obscures, il y a contraste dans la nature du talent, dans le caractère de l’individu, dans les causes du dégoût de la vie (car il y a spleen chez l’un et chez l’autre), il y a surtout matière à des réflexions différentes. Les nôtres seront courtes et respectueuses, car la douleur de George Guérin fut silencieuse et noblement portée jusqu’à la tombe.

Sur tant d’exemples de poésies et de morts spleeniques que notre siècle voit éclore et inhumer, le biographe d’Hégésippe Moreau a dit d’excellentes choses ; et, loin de les contredire, nous les confirmerons par rapport aux martyrs de l’ambition littéraire. Le désir inquiet des jouissances matérielles, de la vie et le besoin des vulgaires satisfactions de la vanité, devenus des causes d’amertume, de colère et de suicide, ne sauraient être réprimés par de trop sévères arrêts, et la pitié sympathique qu’inspirent de telles catastrophes doit trouver son correctif dans une critique austère et moralisante. L’auteur du poé-