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eux que les dépositaires des mythes sacrés de Cybèle, sans trop se demander si leurs poètes avaient le don de la chanter mieux que lui. Son ambition n’est pas tant de la décrire que de la comprendre, et les derniers versets du Centaure révèlent assez le tourment d’une ardente imagination qui ne se contente pas des mots et des images, mais qui interroge avec ferveur les mystères de la création. Il ne lui faut rien moins pour apaiser l’ambition de son intelligence perdue dans la sphère des abstractions. Il ne se contenterait pas de peindre et de chanter comme Chénier, il ne se contenterait pas d’interpréter systématiquement comme Ballanche. Il veut savoir, il veut surprendre et saisir le sens caché des signes divins imprimés sur la face de la terre ; mais il n’a embrassé que des nuages, et son ame s’est brisée dans cette étreinte au-dessus des forces humaines. C’est être déjà bien grand que d’avoir entrepris comme un vrai Titan d’escalader l’Olympe

    siasme donnent plutôt une idée fausse. Bernardin de Saint-Pierre, sans tant d’étude, y atteint mieux par simple génie ; héritier en partie de Fénelon, il a, dans Paul et Virginie, dans bien des pages de ses Études, dans cette page (par exemple) où il fait gémir Ariane abandonnée à Naxos et consolée par Bacchus, des retours de l’inspiration grecque et de cette muse heureuse ; mais c’est le doux et le délicat plutôt que le grand, qu’il en retrouve et en exprime. L’abbé Barthélemy, dans le Voyage d’Anacharsis (si agréable et si utile d’ailleurs), accrédita un sentiment grec un peu maniéré et très parisien, qui ne remontait pas au grand et ne rendait pas même le simple et le pur. Heureusement André Chénier était né, et par lui la veine grecque est retrouvée.

    « 4o Au moment où l’école de David essaie, un peu en tâtonnant et en se guindant, de revenir à l’art grec, André Chénier y atteint en poésie. Dans son Homère, l’idée du grand et du primitif se retrouve et se découvre même pour la première fois. Dans l’étude de la statuaire grecque, on en resta ainsi long-temps au pur gracieux, à l’art joli et léché des derniers âges : ce n’est que tard qu’on a découvert la majesté reculée des marbres d’Égine, les bas-reliefs de Phidias, la Vénus de Milo.

    « Peu après André Chénier, et avant qu’on eût publié ses poèmes, M. de Châteaubriand, dans les Martyrs, retrouvait de grands traits de la beauté grecque antique ; dans son Itinéraire, il a surtout peint admirablement le rivage de l’Attique. Il sent à merveille le Sophocle et le Périclès.

    « Un homme qui ne sentait pas moins la Grèce dès la fin du XVIIIe siècle, est M. Joubert, sur lequel M. Sainte-Beuve a donné un article dans votre Revue des Deux Mondes : quelques pensées de lui sont ce qu’on a écrit de mieux en fait de critique littéraire des Grecs. Il aurait aimé le Centaure.

    « Vous connaissez l’Orphée, et je n’ai point à vous en parler ; mais à Ballanche, à Quinet (dans son Voyage en Grèce), il manque un peu trop pour correctif de leur philosophie concevant et refaisant la Grèce, quelque chose de cette qualité grecque fine, simple et subtile, négligée et élégante, railleuse et réelle, de Paul-Louis Courier, ce vrai Grec, dont la figure, la bouche surtout, fendue jusqu’aux oreilles, ressemblait un peu à celle d’un faune »