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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

leurs si beau, si large et si coloré d’originalité primitive. La pièce de vers, malheureusement inachevée, qui est placée à la suite du Centaure, ne me paraît pas non plus, comme il pourra sembler à quelques-uns au premier abord, une imitation de la manière de Chénier. Ces deux essais de M. de Guérin ne sont point des pastiches de Ballanche et de Chénier, mais bien des développemens et des perfectionnemens tentés dans la voie suivie par eux. Il ne semble même pas s’être préoccupé de l’un ou de l’autre, car nulle part dans ses lettres, qui sont pleines de ses citations et de ses lectures, il n’a placé leur nom. Sans doute il les a admirés et sentis, mais il a dû, avant tout, obéir à son sentiment personnel, à son entraînement, prononcé et l’on peut dire passionné vers les secrets de la nature. Il ne l’a point aimée en poète seulement, il l’a idolâtrée. Il a été panthéiste à la manière de Goethe sans le savoir, et peut-être s’est-il assez peu soucié des Grecs, peut-être n’a-t-il vu en

    il a relevé une grande quantité de locutions, de tours de phrase, d’idiotismes, communs aux deux langues, et qui semblent indiquer bien moins une communication directe qu’une certaine ressemblance de génie. M. de Maistre, dans les Soirées de Saint-Pétersbourg, est de l’avis de Henri Estienne, et croit à la ressemblance du génie des deux langues. Pourtant, il faut le dire, toute cette renaissance grecque du XVIe siècle, en France, fut érudite, pédantesque, pénible ; le seul Amyot, par l’élégance facile de sa traduction de Plutarque, semble préluder à La Fontaine et à Fénelon.

    « 2o Avec l’école de Malherbe et de ses successeurs classiques, la littérature française se rapprocha davantage du caractère latin, quelque chose de clair, de précis, de concis, une langue d’affaires, de politique, de prose ; Corneille, Malherbe, Boileau, n’avaient que très peu ou pas du tout le sentiment grec. Corneille adorait Lucain et ce genre latin, Boileau s’attache à Juvénal. Racine sent bien plus les Grecs ; mais, en bel-esprit tendre, il sent et suit surtout ceux du second et du troisième âge, non pas Eschyle, non pas même Sophocle, mais plutôt Euripide ; ses Grecs, à lui, ont monté l’escalier de Versailles et ont fait antichambre à l’Œil-de-Bœuf. On voit dans la querelle des anciens et des modernes, où Racine et Boileau défendent Homère contre Perrault, combien il y avait peu, de part et d’autre, de sentiment vrai de l’antique. Mais La Fontaine, sans y songer, était alors bien plus grec que tous de sentiment et de génie ; dans Philémon et Baucis, par exemple, dans certains passages de la Mort d’Adonis ou de Psyché. Surtout Fénelon l’est par le goût, le délicat, le fin, le négligent d’un tour simple et divin ; il l’est dans son Télémaque, dans ses essais de traduction d’Homère, ses Aventures d’Aristonüs ; il l’est partout par une sorte de subtilité facile et insinuante qui pénètre et charme : c’est comme une brise de ces belles contrées qui court sur ses pages. Massillon aussi, né à Hières, a reçu un souffle de l’antique Massilie, et sa phrase abondante et fleurie rappelle Isocrate.

    « 3o Au XVIIIe siècle, en France, on est moins près du sentiment grec que jamais. Les littérateurs ne savent plus même le grec pour la plupart. Quelques critiques, comme l’abbé Arnaud, qui semblent se vouer à ce genre d’érudition avec enthou-,