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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

mie, ce son mystérieux qu’il eût voulu recueillir sur la pierre magique où Apollon avait posé sa lyre. Il sentait l’infini dans l’univers, mais il ne le sentait pas en lui-même. Effrayé de ce néant imaginaire qui a tant pesé sur l’ame de Byron et des grands poètes sceptiques, il eût voulu se réfugier dans les demeures profondes des antiques divinités, symboles imparfaits de la vie partout féconde, éternelle et divine ; il eût voulu dissoudre son être dans les élémens, dans les bois, dans les eaux, dans ce qu’il appelle les choses naturelles ; il eût voulu dépouiller son être comme un vêtement trop lourd, et remonter comme une essence subtile dans le sein du Créateur, pour savoir ce que signifie cette vie d’un jour sur la terre et ce silence qui règne en-deçà du berceau comme au-delà de la tombe.

Dira-t-on que ce fut là un rêveur, un insensé, et que cette existence flétrie, cette mort désolée, sont des faits individuels, des maladies de l’esprit qui ne prouvent rien contre l’organisation de la société humaine ? Où donc est le tort, dira-t-on peut-être, si les individus agitent de telles questions dans leur sein, que la société ne puisse les résoudre ? En admettant l’humanité aussi continuellement progressive que vous la rêvez, n’y aura-t-il pas, dans des âges plus avancés, des individus qui seront encore en avant de leur siècle ? N’y en aura-t-il pas tant que l’humanité subsistera, et sera-t-elle coupable chaque fois qu’une avidité dévorante poussera quelques-uns de ses membres à troubler son cours auguste et mesuré par l’impatience de leur idéal et le mépris des croyances reçues ?

Il serait facile de répondre à de telles questions ; mais les esprits qui condamnent ainsi les idéalistes impatiens du temps présent n’ont pas mission pour juger de la société future. Ont-ils le droit d’y jeter seulement un regard, eux qui n’ont pas la volonté de moraliser et d’élever les intérêts de la vie actuelle ? eux qui n’ont ni respect, ni sympathie, ni pitié pour les tortures des ames tendres et religieuses, veuves de toute religion et de toute charité ? eux qui vivent des bienfaits de la terre sans rechercher la source d’où ils découlent ? eux qui ont fait le siècle athée et qui exploitent l’athéisme, regardant naître et mourir avec une ironique tolérance les religions qui essaient d’éclore et celles qui sont à leur déclin ? eux qui consacrent en théorie les principes du dogme éternel de l’égalité, de la liberté et de la fraternité, en maintenant dans le fait l’esclavage, l’inégalité, la discorde ? Qu’a-t-elle donc fait pour notre éducation morale, et que fait-elle pour nos enfans, cette société conservée avec tant d’amour et de soin ? Pour nous, ce furent des prêtres investis de la