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Mme Récamier et M. Matthieu de Montmorency avaient été exilés pour n’avoir pas fui son exil.

Chamisso continue ainsi : « Mme de Staël estime et apprécie mon caractère. » C’était vrai. Il ajoute (et avec quelle candeur !) : « La première fois que je me trouvai vivre près d’elle, elle ressentit pour moi un grand attrait. Cette fois je l’ai trouvée engagée dans une relation qui l’éloignait entièrement de moi ; j’ai reculé avec fierté, et nous avons été froids l’un pour l’autre. Elle m’appelle orgueilleux ; il est vrai que je me mets en défense contre elle comme contre une force supérieure ; elle estime aussi cela en moi. »

Ces paroles, des vers français[1] que Chamisso adressa, avant de s’éloigner, à l’illustre fugitive, et qui sont empreints de quelque amertume, donnent lieu de penser que, trompé par cette coquetterie romanesque habituelle à l’auteur de Corinne, et qu’elle regardait comme le savoir-vivre de l’imagination, Chamisso s’était un peu exagéré l’impression qu’il avait précédemment produite. Mais une nuance de dépit naïvement montré n’empêchait point Chamisso de sympathiser noblement avec les douleurs de celle qui en était l’objet ; et si l’on sourit en l’entendant parler ingénuement de l’attrait qu’on a ressenti pour sa personne, en le voyant fier, sensible… et même un peu farouche, on ne peut que s’intéresser à lui et l’honorer.

Cette époque est marquée aussi dans la vie de Chamisso par ses premières études dans une science à laquelle cette vie devait plus tard être consacrée : la botanique. Le Jura et les Alpes l’invitaient à de poétiques herborisations. Il fit en 1812 un voyage pédestre en Suisse, hésita un moment devant les séductions de l’Italie, puis tourna court, affamé de l’Allemagne, y rentra, éprouva la plus grande joie qu’il pût avoir, celle d’embrasser ses amis, et se mit à étudier l’anatomie avec fureur. Le goût de l’histoire naturelle devenait chez lui de plus en plus dominant ; la pensée de se rendre capable de prendre part à

  1. C’est un rondeau, dont voici le commencement et la fin :

    J’ai vu la Grèce et retourne en Scythie,
    Dans mes forêts je retourne cacher
    Mes fiers dédains et ma mélancolie.
    ............
    Désabusé je connais ma folie,
    Je vois les fleurs tomber et se sécher ;
    Je vois déjà ma jeunesse flétrie
    Vers son déclin dans l’ombre se pencher,
    Et sans jouir, pour tout prix de la vie,
    J’ai vu !