un voyage scientifique commençait à diriger vers un but moins vague les errantes études de Chamisso.
Les évènemens de 1813 vinrent douloureusement agiter celui qui a écrit : « Je n’avais alors plus de patrie, ou bien je n’avais pas encore de patrie. » Il se sentit Français pour souffrir des désastres de Russie. Au milieu du mouvement guerrier de l’Allemagne, parfois il s’écriait : « Non, ce temps n’a pas pour moi une épée ! » Dans d’autres momens il se sentait décidé à défendre sa terre adoptive : « Si l’on en vient à une guerre de paysans, je pourrais y prendre part ; pro aris et focis, je ne refuserai pas de périr avec vous. » Pouvait-il tenir un autre langage ?
Ce fut dans ce temps si triste, que, pour amuser les enfans de son ami Hitzig, il écrivit Pierre Schlemihl, le plus populaire de ses ouvrages en Allemagne et en Angleterre, et le plus connu en France.
L’idée de cette nouvelle est bizarre : c’est l’histoire d’un homme qui a vendu son ombre. Les circonstances de ce singulier marché sont racontées au début de la merveilleuse histoire d’une manière très piquante. Pierre Schlemihl, pauvre diable qui a une lettre de recommandation pour un riche personnage, arrive dans la maison de campagne de celui-ci. Il le trouve dans son parc, entouré d’une société brillante à la suite de laquelle le nouveau venu se glisse timidement, sans que personne prenne garde à lui. Une belle dame se blesse légèrement la main en voulant cueillir une rose ; aussitôt un petit homme maigre et silencieux tire sans mot dire de sa poche un morceau de taffetas d’Angleterre et le présente avec une profonde révérence. La belle dame prend le morceau de taffetas d’Angleterre ; personne ne songe à remercier le petit homme, l’on continue la promenade commencée, et l’on arrive sur une colline du haut de laquelle on jouit d’une vue superbe et d’où l’on découvre la mer. Un point blanc se montre à l’horizon : « Un télescope ! » s’écrie le richard, et aussitôt le petit homme tire de sa poche l’objet demandé. Schlemihl admire comment un si grand instrument a pu sortir de la poche d’un habit, mais personne ne paraît surpris ; un instant après, quelqu’un remarque combien il serait commode d’avoir là un tapis pour que la société pût s’asseoir et jouir du point de vue. Aussitôt le même petit homme tire de la même poche un magnifique tapis de quarante pieds, sans que personne en paraisse étonné le moins du monde. Mais le soleil devenait incommode ; la belle dame se tourne alors vers le petit homme, et lui demande d’un ton léger si par hasard il n’aurait pas une tente sur lui. Nouvelle révérence, la tente est tirée