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MARIE D’ÉNAMBUC.

I.

Sur la côte occidentale de la Martinique, au-delà de cette vaste plage sablonneuse qui s’étend entre l’anse Thomazo et la haute falaise appelée le Morne-aux-Bœufs, il y avait, vers le milieu du xviiie siècle, une possession dont les limites touchaient d’un côté le rivage et s’avançaient de l’autre jusqu’au pied du Morne-Vert. Ce magnifique domaine appartenait à M. d’Énambuc du Parquet, lieutenant-général du roi de France aux Antilles. M. d’Énambuc était parvenu à une de ces hautes fortunes réservées aux hommes d’élite qui savent poursuivre leur voie à travers tous les obstacles et tous les périls. Cadet d’une noble famille de la Normandie et réduit à une très mince légitime, il était passé aux îles avec le grade d’officier de marine, et, par son courage, son habileté, la fermeté prudente de son caractère, il y avait conquis une autorité indépendante et absolue. Sa puissance égalait celle des princes souverains ; sujet du roi de France, il renouvelait en Amérique un de ces pactes féodaux dont aucun exemple n’existait plus dans la mère-patrie : il était seigneur propriétaire de la Martinique, de la Grenade et de Sainte-Lucie. Comme les anciens grands vassaux de la couronne, il avait droit de haute et basse justice dans toute l’étendue de ses domaines ; les magistrats qu’il nommait ne relevaient d’aucun parlement ; leurs jugemens étaient sans appel, et dans tous les cas, même celui de la