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ANTONIO PEREZ.

du frère couronné et servir activement les intérêts du frère bâtard. Il présuma trop. Pendant qu’il jouait auprès de Philippe le rôle d’espion de son frère, et auprès de don Juan celui de conseiller loyal, Philippe, aidé du révérend Escobar et de Perez, lisait, dans son cabinet de l’Aranjuez, les messages secrets d’Escovedo à la cour de Rome et au duc de Guise, sollicités l’une et l’autre en faveur de don Juan contre Philippe.

On n’éclata point en reproches ; on ne prévint pas Escovedo. Seulement on le fit venir à Madrid, où on le retint sous divers prétextes et où le roi l’accueillit bien, sans lui permettre de retourner près de don Juan. Escovedo s’étonna d’abord ; puis il comprit le sort qui lui était réservé ; se mettant à observer de près la cour et les hommes qui l’environnaient, il découvrit sans peine l’intimité du secrétaire d’état et de la favorite. Cette découverte le rassura. Il y vit une chance de salut et une arme puissante : il espéra enchaîner à lui par la terreur le secrétaire particulier, l’homme le plus influent du royaume ; mais dans ce même instant Antonio Perez recevait deux confidences contraires et se trouvait chargé de deux affaires singulièrement opposées.

Escovedo lui disait d’une part : « Vous trompez le roi, je le sais. La princesse vous aime et vous l’aimez ; j’en ai les preuves. Ainsi je vous tiens à ma merci. Ménagez-moi, et je vous épargnerai. Défendez-moi contre mes ennemis, je serai votre ami. » D’autre part, Philippe II, décidé à se défaire d’Escovedo sans bruit et sans éclat, sin juycio, y sin preceder prision, disait à Perez : « Vous ferez tuer cet homme, par qui et quand vous voudrez, pourvu que ce soit en secret. Et je vous l’ordonne. »

En effet, au détour d’une rue, le soir, Escovedo fut frappé de coups de poignard et périt. Les assassins, gagés par Perez, soldés par Philippe, l’avaient frappé à mort. Action atroce « dont le code absolu de l’obéissance envers le roi me faisait un devoir, » dit Perez, mais que Dieu vengea et qu’Antonio paya des calamités de toute sa vie ! Celui-ci, dans ses mémoires imprimés, convenant du meurtre, mais sans repentir et sans scrupules, l’impute tout entier à son maître[1], qui seul y avait intérêt. » Cela n’est pas exact. Escovedo tué débarrassait Perez d’un observateur trop clairvoyant et d’un ennemi trop dangereux ; l’instrument, prétendu aveugle, des vengeances royales était aussi l’artisan de sa propre sécurité. Mais, pour juger avec une

  1. « Comitiò la execucion de la muerte à Antonio Perez, como a persona, que era depositario y sabidor de las causas y motivos d’ella etc. » (Pag. 4, in-4o.)